jeudi 19 février 2009

V. Nabokov, dans Le Point, HS n° 9, 09/2006


Vladimir Nabokov, l'invention de la nymphette

Lolita, de Vladimir Nabokov, Folio.


Vladimir Nabokov, « le russe tricolore » comme il aimait à la dire, n’appartient à personne. Né à Saint-Pétersbourg en 1899, il fuit la révolution et s’installe à Londres, puis à Berlin, pour enfin se fixer aux Etats-Unis, où il donne des cours de littérature russe dans les plus grandes universités. C’est en Suisse qu’il finira ses jours, en 1997. Eternel voyageur, intellectuel raffiné, Nabokov a consacré sa vie à ses deux passions : les papillons et la littérature. Lolita, dont le succès de scandale scella sa notoriété partout dans le monde, est sans conteste l'un des romans les plus inquiétants du XXè siècle : il relate l'histoire d’amour d’Humbert, un quadra pervers, avec une enfant cristalline et obsédante, Lolita. Sexuellement dépendant mais aussi amoureux fou de la nymphette, Humbert ira jusqu’à assassiner l’homme qui lui « vole » sa Lolita. « Immoral », « pédophile », voire « pornographique »…On a tout dit sur Lolita, mais une fois les émotions apaisées, tous y reconnaissent, malgré tout, un chef-d'œuvre littéraire et esthétique unique en son genre, l’un des plus grands roman de ce siècle et de n’importe quel autre d’ailleurs.

Ce qui a toujours dérangé chez Nabokov, c’est l’érotisation du corps sacro-saint de l’enfant. Le corps gracile et pré pubère de Lolita est d’autant plus excitant qu’il va bientôt se transformer. Car Lolita n'a pas le privilège d'être «nymphette » pour très longtemps. Et c’est précisément ce moment de métamorphose, si court et si fragile, qui obsède Humbert, aiguise son désir, délivre son imagination jusqu’à la démence. Son discours est sans équivoque : « Je ne m’intéresse pas le moins du monde à ce que l’on appelle communément le « sexe » (…) Je suis mû par une ambition plus noble : fixer une fois pour toute la périlleuse magie des nymphettes » (p. 234). En possédant Lolita, en lui faisant l’amour, il offre l’éternité à ses douze ans, il capture son corps d’enfant. Comme avec les papillons, il traque le spécimen dans son moment de grâce, l’embaume et l’enferme pour toujours dans un casier. Marcel Proust avait lui aussi souligné cet érotisme du mouvement, de la fugacité de la jeune fille en fleur : « Il est si court, ce matin radieux, qu'on en vient à n'aimer que les très jeunes filles, celles chez qui la chair comme une pâte précieuse travaille encore. » (A l’ombre des jeunes filles en fleur, tome 3, p.26).

Depuis sa première sortie en France en 1955, Lolita n’a pas cessé de déchaîner les passions. A
l’époque, L’Amérique s’insurge, frémit devant l’immoralité du sujet, et refuse la publication
en langue anglaise. Les anglais quant à eux prennent d’assaut le domicile de Nabokov dans l'espoir d’y trouver une fillette et d'assister à son arrestation pour atteinte à la pudeur…Il n’y avait alors que la capitale française, si friande d’œuvres sulfureuses, pour abriter telle débauche littéraire.
Aujourd’hui encore, et à la sombre lumière de l’actualité, il n’est pas aisé de prendre un plaisir esthétique serein à la lecture de ce roman incendiaire. Si Lolita est un texte érotique solaire, « poérotique » diront les anglais, Humbert est un pédophile notoire. Et la donne a changé : le contexte social et culturel est bien différent de celui de l’époque. Le succès très controversé des deux mises à l’écran de Lolita, par Stanley Kubrick en 1962 et par Adrian Lyne en 1997, en est la preuve. Du ravissement à l’outrage, d’une adaptation à l’autre, Lolita « l’intemporelle » continue en tout cas de faire parler d’elle, à tel point qu’elle est devenue un nom commun.


Marine de Tilly.

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