samedi 21 février 2009

F. Sagan, pour Transfuge, 01/2008


Retour du charmant petit monstre

Sagan à toute allure, Marie-Dominique Lelièvre, Denoël, 340 pages, 23 €.


« Tout va bien, tu es un écrivain », dit Florence Malraux à Françoise Sagan en refermant le manuscrit de Bonjour tristesse. Nous sommes à la fin de l’été 53. Du haut de ses 18 ans, griffes aux genoux et rêves insolents dans la tête, Françoise Quoirez dépose son texte dans la boîte aux lettres de l’éditeur Julliard. Trente deux petits jours d’écriture dans l’appartement bourgeois de son père, et voila que cette fille de famille jette un pavée dans la très sage République des lettres de l’époque. Avec un nom pareil et un père au panthéon, Florence Malraux ne pouvait pas s’y tromper: Françoise était, en effet, un écrivain.
Avec une plume sensible ; forte de ses lectures et de ses rencontres avec les proches de l’icône, Marie-Dominique Lelièvre revient sur l’itinéraire de Sagan, vibrant et anticonformisme.

Au pays de Sagan, il y a d’abord la jeunesse. Libre, oisive, éternelle. Une jeunesse réinventée, prête à jouir, à se distraire, à claquer du fric. Dans un numéro de Paris-Match de l’époque, un autre jeune écrivain, Michel Déon, écrit du « charmant petit monstre »: « Quand elle n’est pas au volant de sa voiture, elle marche, les mains dans les poches de son blue-jean, ou se brûle au soleil de la plage. Le soir, elle retrouve quelques amis, va jouer à la boule où elle a de la chance, et danse souvent tard dans la nuit au Bar basque. » Entre deux virées au casino, Sagan sort son deuxième texte, Un certain sourire, et travaille le troisième (Dans un mois, dans un an) au Moulin de Coudray, qu’elle loue à Christian Dior. Le 13 avril 1957, défiée par un ami qui aurait « traité » son Aston Martin de « veau », la femme-enfant lance le bolide à toute allure. Pied nu au plancher. L’Aston terminera sa trajectoire dans un champ. « Une tonne et demi d’acier retombe alors sur elle ». Entre la vie et la mort, la légende de l’artiste foudroyée en pleine gloire s’étale en « Une » des journaux. Sagan s’en sortira vivante, mais accro aux calmants. Et re-belotte. Jeu, argent, quelques romans (Aimez-vous Brahms ?), et drogue dur cette fois ci. Coke pour se réveiller, morphine pour dormir.
Les années passent, les romans aussi. Toxique, Des bleus à l’âme, Le piano dans l’herbe, dans lequel elle écrit : « De toute façon, à trente cinq ans, on a forcément raté quelque chose. Une histoire d’amour, une idée de soi-même. Après, ça va en s’accélérant ». Tout s’accélère en effet dans la vie de l’écrivain : Interdiction d’entrer dans les casinos, plus de chéquier, problèmes avec le fisc, mépris de la critique, dépression nerveuse… A partir des années 70, « la figure emblématique des années soixante a la gueule de bois », écrit Marie-Dominique Lelièvre.
Au pays de Sagan, il y a aussi les hommes…et les femmes de sa vie. Le fantasme général lui imposa de se montrer au bras de play boy comme Guy Schoeller, Jean-Paul Faure ou Massimo Gargia. Elle le fit. Et puis un jour, elle eu un petit moment de sagesse. Minuscule. Le temps d’un « oui ». Elle épousa Guy Schoeller « pour de rire ». Vinrent ensuite Paola, le sculpteur américain Robert Westhoff (son deuxième mari, avec qui elle eut un fils, Denis), Ingrid Mechoulam, et surtout, pardessus tout, Peggy Roche, ancien mannequin et femme de mode, son grand amour, emporté en 1991 par le cancer. « Pendant deux ans, après la mort de Peggy, elle est incapable d’écrire. Ses éditeurs en sont réduits à compiler ses entretiens », écrit Lelièvre. Les quinze dernières années de sa vie sont les pires. « Sagan a tout perdu ». Plongée dans la drogue, ruinée, « elle est à bout de ressources, littéralement ». Même ses amitiés avec Florence, Bernard Franck ou Sartre ne la consolent plus. La chute d’Icare. La fin d’une existence anarchique, d’une vie de l'instant, entourée d'un halo de scandale. Sagan meurt le 24 septembre 2004 à 69 ans, « âge érotique », aurait chanté le Gainsbourg cher à Marie-Dominique Lelièvre.

On a tout dit sur Françoise Sagan. Comme si elle n’avait passé sa vie qu’à conduire et plier des Jaguar XK 140 (roadster) comme des papiers brouillons, deux grammes dans le sang et une Pall Mall au bec. Mais sa vie, Sagan l’a surtout passée à lire. Née le premier jour de l’été 1935 à Cajarc, dans le Lot, elle écrit ses premières pièces de théâtre à 10 ans. Adolescente, elle lit chroniquement, maladivement Camus, Cocteau, et Stendhal, dont La Chartreuse de Parme accompagnera toute sa vie -« Jusqu’à la fin, Mosca est resté son idéal masculin », écrit Marie-Dominique Lelièvre. Quoirez devenue Sagan (un pseudonyme emprunté à un personnage de Proust) dévore les auteurs anglo-saxons, Styron, Salinger, Carson Mc Cullers, Katherine Mansfield, et s’entiche des personnages féminins d’Iris Murdoch, « ces femmes que rien ne protège, que rien n’arrête ». Sagan « la pressée » appréciait aussi la vivacité, la rapidité des écritures de Patrick Besson ou de Sollers. En revanche, Céline ne lui disait rien, pas plus que Joyce –elle n’a jamais réussi à lire Ulysse- ou Modiano, « bon peintre de Paris » mais à qui elle reprochait l’absence de personnages. Quant à Houellebecq, il est libre, d’accord, mais trop lourd, « il ne s’envole jamais ». Plus encore que la liberté, la flambe et les voitures, Sagan aimait la lecture, et s’il y eut une « vraie » addiction dans sa vie, ce fut celle-là. La rigueur qui manquât à sa vie, elle la mit dans ses livres. Une langue blanche, nue, disciplinée, d’un classicisme qui exclut tout excès. « J’ai besoin de vivre mal pour écrire bien », disait Musset à George Sand. Pas de doute. Sagan aussi.
Marine de Tilly.

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