jeudi 19 février 2009

P. Choderlos de Laclos, dans Le Point, HS n° 9, 09/2006

Pierre Choderlos de Laclos, le libertinage cérébral.


Les liaisons dangereuses, de P. Choderlos de Laclos, Folio.
Figure majeure du libertinage de la fin du XVIIIème siècle, Pierre-Ambroise Choderlos de Laclos (1741-1803) doit son succès au scandale qui accueilli la sortie de son unique roman, Les Liaisons Dangereuses. Portrait corrosif des mœurs du temps, ce roman épistolaire met en scène le défi diabolique que lance la Marquise de Merteuil à son ami le vicomte de Valmont : séduire Mme de Touvel, la « céleste prude », et Cécile de Volange, la jouvencelle ingénue…pour le plaisir. Pris par la passion du jeu, d’une habileté méthodique et érotique inouïe, le couple central des Liaisons met au jour un érotisme « de tête », un libertinage où la puissance de la raison est source de tous les plaisirs.
Erotisation de la volonté
Dans les Liaisons, les scènes érotiques ne sont pas évitées, elles sont dissimulées sous un voile de pudeur. Valmont s’en amuse dans la lettre 110, enseignant à Cécile, « son écolière », « une espèce de catéchisme de débauche », et confessant que « c’est à elle qu [il] doit d’avoir encore à faire autre chose que des Elégies ».Dans la lettre 71 encore, la fin importe plus que les moyens. C’est le résultat qui atteste de l’habileté libertine, de l’efficacité de la méthode : « Je ne m’arrête pas aux détails de la nuit : mais vous me connaissez, et j’ai été content de moi ». La jouissance est dans la tactique et dans la rhétorique, elle sert un libertinage cérébral, en quête d’une maîtrise sublimée plus que de volupté.
Si Laclos contourne délibérément les détails de l’acte sexuel, son discours n’exclue pas pour autant le désir : « enfin [nos yeux] ne se quittèrent plus, et j’aperçu dans les seins cette douce langueur, signal heureux de l’amour et du désir ». (Lettre 76)
Guerre et érotisme
Chez Valmont, l’héroïsme de la conquête égale la prouesse érotique. Il clame le credo du libertinage, le principe de cette guerre d’alcôve à laquelle se ramène finalement son désir de gloire : « conquérir est notre destin, il nous faut le suivre », écrit-il dans la lettre 4. Ces métaphores guerrières vont bien au-delà d’une parodique guerre en dentelle, elles font de la violence et de l’autorité l’écho de la passion et l’érotisme : « Vos ordres sont charmants ;(…) vous feriez chérir le despotisme. Ce n’est pas la première fois que je regrette de plus être votre esclave » (lettre 4). L’usage cynique et usurpé du politique ne saurait passer pour dérisoire, mariant à coup sûr complicité et affrontement, sentiment et soumission. Or, cette volonté de traiter l’autre en objet, de le destituer de sa personnalité, de s’emparer de sa raison et de son corps en maître ne présage-t-elle pas de ce qu’un Leopold Von Sacher-Masoch (1836-1895) développeront plus tard ?
Un phénomène atemporel
Depuis sa publication en mars 1782, le roman de Laclos n’a cessé d’être critiqué, encensé et analysé, par ses contemporains d’abord, puis par nombre de grandes plumes des XIX et XX ème siècles. De Grimm à Malraux, de Diderot à Giraudoux, en passant par Stendhal, Sainte-Beuve, Baudelaire, Gide et bien d’autres, chacun semble s’être penché, à un moment ou à un autre, sur ce texte aussi controversé que fondamental. Aujourd’hui encore, à en croire le succès unanime de son adaptation au cinéma par Stefen Frears (1988), Les Liaisons n’ont pas le parfum d’autrefois. Durablement ancré dans les programmes scolaires et universitaires, omniprésent sur les étales des librairies, le « conte libertin » de Laclos continue de fasciner ou d’agacer, de passionner ou d’écoeurer, mais sans jamais laisser ses lecteurs indifférents.
Marine de Tilly.

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