jeudi 19 février 2009

C. Boulouque, dans Atmosphères, 10/2007


Clémence Boulouque soigne les âmes

Nuit ouverte, Flammarion, 244 p, 18 €
Mort d’un Silence, Gallimard, 182 p, 17 €


« En devenant comédienne, j’ai gagné d’autre vies, des pensées et des souvenirs qui ne sont pas les miens, et j’ai regagné, aussi, le souvenir des miens ». Cette phrase, prononcée par Elise dans Nuit ouverte, le dernier roman de Clémence Boulouque, en dit long sur son idée de l’écriture. Remplacez « comedienne » par « écrivain », et vous reconnaîtrez sans mal l’auteur du très émouvant Mort d’un silence. Car c’est pour ça qu’elle écrit, « la Boulouque »; pour « gagner d’autres vie », pour ne pas se suffire de la sienne, et ne pas oublier celles que l’Histoire a englouties. Dans cette Nuit ouverte en forme d’hommage, c’est la vie de Regina Rosas qui raisonne à chaque coin de page. Première femme rabbin au monde, ordonnée en plein Reich, Regina Rosas disparaît à Auschwitz en 1944. Peu après la chute du Mur, un réalisateur découvre par hasard le destin évanoui de cette « soigneuse d’âme » et choisit Elise pour la porter à l’écran. L’occasion pour la jeune actrice de « racheter » le passé coupable de ses grands parents.

Pourquoi avoir choisi de raconter l’histoire de Regina Rosas, cette inconnue célèbre ?

C’était l’occasion pour moi de rendre hommage à une femme juste, et bonne. Mais « bonne », ça ne veut pas dire gentille et un peu mièvre, comme on a l’habitude de le penser aujourd’hui. Regina incarne la vraie bonté, l’obstination dans les choix, le perpétuel souci des âmes.

Qu’est ce qui vous lie à elle ?

Je crois beaucoup aux signes, je vis à travers eux, en fonction d’eux. Regina a les mêmes dates de naissance et de mort que mon père. Elle est née un 3 août, et elle est partie un 13 décembre. Comme mon père. C’est troublant non ? Je crois que ce sont les personnages qui vous choisissent, et c’est Regina qui est venue me chercher. Comme mon père à sa manière, elle a voulu être auprès des êtres, elle a voulu être juste dans un monde qui ne l’est pas. Et comme lui, elle a été oubliée par l’Histoire.

Nuit ouverte est un livre sur la culpabilité, et les frontières victimes/bourreaux y sont minces…

Je déteste la victimisation, et ce que j’aime chez Regina, c’est qu’elle a toujours refusé le statut de martyr. Elle a fait ses choix, elle est allée jusqu’au bout, mais jamais elle ne s’est érigée en pasionaria. Je suis un peu agacée par cette repentance qui fait qu’on est ou salaud ou héros, par cet absolutisme de la mémoire. On n’est pas des putes ou des vierges. On entend souvent dire « on parle trop de la Shoah ». En effet, à force de bavarder sur ce sujet, finalement on n’en dit rien, on le tue. La Shoah, ce n’est pas le problème des juifs, mais celui de tous ceux qui s’en sont rendus coupables. La vraie question, c’est quel statut doit-on donner à celui qui laisse faire ces choses ?

A travers la foi de Regina, c’est la vôtre qui transparaît. Y avait-il une démarche spirituelle dans l’écriture de ce roman ?

Bien sûr, elle est à l’origine de ce livre. Mais c’est une spiritualité qui dépasse les confessions. Elise ne croit pas, mais elle prie. Nuit ouverte, c’est moins l’histoire d’une femme juive que celle d’un être qui croit que le monde peut être meilleur que ce que les hommes en font. Comment réparer les dommages des hommes ? Comment cheminer vers un monde meilleur ? Les Juifs n’ont pas spécialement le monopole de ces questions, elles sont universelles, elles appartiennent à tout le monde.

Nuit ouverte est un histoire de femme : Il y a Regina, bien sûr, Elise, Irène…, et vous. Comment fonctionne ce quatuor ?

Je ne voulais pas que ce soit une confrontation manichéenne gentille/méchante, et Elise n’est pas l’arbitre entre le bien (Regina), et le mal (Irène). C’est un peu plus subtil. L’important, c’est que ces trois femmes qui n’auraient pas du se parler se parlent, se retrouvent dans un livre. Les réunir, c’était une façon de faire rencontrer des mondes que tout sépare, de faire tomber les cloisons. Quant à moi, je ne suis qu’une voix, une passeuse.

Dans que état d’esprit avez-vous écrit ce livre ?

Quand je l’ai écrit, la vie n’était pas facile, et Regina m’a aidée à tenir debout. J’espérais que le livre serait à la hauteur de ce qu’elle était pour moi. C’était comme un dialogue entre elle et moi. Parfois, je retenais ma plume en me disant que telle ou telle phrase, « elle n’aurait pas aimé ». Exactement comme pour Mort d’un silence, où c’était à mon père que je pensais. Ce livre, c’est une main ouverte, une nuit ouverte, un hommage à un ange. La lumière des astres nous arrive seulement une fois qu’ils sont morts…Regina est morte, j’aimerai qu’il reste quelque chose de sa lumière. Car c’est cette lumière qui aide à tenir debout quand tout s’écroule.

Marine de Tilly.

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