jeudi 19 février 2009

P. Jaenada, dans Le Figaro, 11/2004



Philippe Jaenada

Auprès de ma bière...

Vie et mort de la jeune fille blonde de Philippe Jaenada Grasset, 285 p, 17 €.


PHILIPPE JAENADA raffole des personnages déprimés. Le destin cahoteux du quadragénaire toqué est son terrain de jeu favori. Pourquoi ? Probablement parce que les gens les plus drôles sont souvent les plus désespérés.

Dans Vie et mort de la jeune fille blonde, Philippe Jaenada creuse une fois encore le sillon de l’autodérision et de la tendresse rugueuse, à travers les déboires d’un narrateur désabusé qui cherche toujours ce qui « cloche » dans sa vie cafardeuse.

« Il » n’a pas de nom. Sans doute a-t-il un passé, mais l’alcool et l’amertume l’ont effacé. Vide au milieu du vide, c’est un marcheur sans substance dans un univers sans charme. A 39 ans, il a gardé l’état d’esprit de ses 20 ans, et vit au coeur d’un monde de paraître qui ne l’amuse même plus. Pour tromper l’ennui, notre héros anonyme dîne deux ou trois fois par semaine chez Paul et Alice Muratti, les seules personnes « qui lui donnent l’impression de vivre des choses étranges ». En effet, chez ces gens-là, on fait vraiment n’importe quoi. Un soir, après quelques whiskys et le traditionnel « duel de baffes » (principe du jeu : de plus en plus fort, gifler l’adversaire jusqu’à ce qu’il déclare forfait), le maître de maison se lance dans le récit des dérives de sa fille, devenue « toxico-pute » à Marseille.

On l’aura compris, on entre ici sur un terrain où l’absurde marivaude avec la dérision, l’ironie avec le désespoir. Cela pourrait passer pour du « déprimisme », si, sous la plume vivace de l’auteur, ne circulait une sorte de souffle dévastateur, témoignant, au contraire, d’un humour compulsif. Du drame plein de fureur et d’âpreté, l’on est passé à un récit continûment loufoque et décalé. Avec, en son centre, un personnage qui n’a rien à envier à certaines grandes figures du cinéma burlesque. Entouré de comparses tout à sa mesure, notre héros est bouleversé par l’évocation de cette adolescente triste et hargneuse qui « déteste la terre et tous ses habitants ». Brutalement projeté vingt-cinq ans en arrière, il se souvient d’un après-midi passé avec une jeune fille blonde dans un champ de Carcans-Maubuisson. Evanoui dans les vapeurs d’alcool, le visage de la lolita, exquise et dépravée, revit doucement dans sa mémoire. Elle avait 13 ans et lui 16, il en est sûr, c’est elle, elle s’appelait Céline Muratti et lui avait fait découvrir les nectars et les poisons de la puissance sexuelle. Ses souvenirs se cristallisent, et, dans le même temps, l’espoir, un peu frileux, d’un ave

nir. Alors que l’on sent poindre, par endroits, une sorte d’autobiographie déguisée, le narrateur (ou l’auteur ?) semble réaliser qu’à la lisière de la quarantaine, la peur ou la mauvaise foi ne sont plus d’aucun recours : « Maintenant, il faut que je la revoie, sans arrière-pensées sentimentale ni sexuelle, juste pour concrétiser cette présence, encore, de ma jeunesse, et continuer avec. »

La vie est bizarre, on dira ce qu’on voudra. Parti d’un souvenir lumineux à l’ombre d’une jeune fille (blonde) en fleur, il se retrouvait, un battement de paupière plus tard, assis sur le dessus de lit olivâtre d’un hôtel bon marché de Marseille, à quelques rues miteuses de la petite blonde, aujourd’hui terne et démolie ; de l’acide dans les veines et de la boue dans le coeur.

Bien sûr, la scène est dramatique, et le destin du héros tout autant. Mais Jeanada sait jouer de l’union, si tentante, du tragique et du comique. Son écriture déchire les codes habituels des romans où le pathos est sacro-saint. Irrésistiblement, le désespoir se confond en éclats de rire, et le deuxième degré s’impose en maître.

Dans Vie et mort de la jeune fille blonde, Jaenada su mettre en mots les doutes, les peurs et les dérives de ceux à qui il n’arrive presque rien, c’est-à-dire presque tout. Tout dans l’air de ce temps, ses personnages un peu débraillés, son écriture pleine de tics, et surtout son usage, très personnel, de la parenthèse, confirment sa facilité à rire, de lui-même et de ses personnages, ce qui n’est pas chose facile. En somme, un tempérament littéraire à la Bukowski, avec la malice en plus...

Marine de Tilly.

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