vendredi 27 février 2009

T. Wolton, pour Transfuge, 01/2008


La Russie malade de ses espions?

Le KGB au pouvoir, Le système Poutine, de Thierry Wolton, Buchet-Chastel, 300 p.,18,90€

KGB. Trois lettres qui devraient appartenir au passé, à nos livres d’Histoire. Aujourd’hui, plus d’URSS, mais une République démocratique de Russie. Fini, le temps du communisme, voici venu celui du libéralisme sauvage, du « national capitalisme ». Seule tâche dans le joli tableau de réussite du plus grand pays du monde : le KGB. Organe de sécurité redoutable et redouté du Régime Soviétique, il aurait du disparaître avec lui. Non seulement ça n’est pas le cas, mais ce sont aujourd’hui ses héritiers qui tiennent les commandes de Moscou, Vladimir Poutine en première ligne.
Tout commence dans les années 70. Le KGB a vingt ans. Déjà bien plus qu’un simple supplétif du pouvoir politique, il constitue l’ossature sur lequel repose tout le système soviétique. L’URSS est alors un pays en ruine, son avenir est incertain. Conscients de cette faillite imminente, la Loubianka (siège du KGB à Moscou) comprend que la seule façon d’emménager au Kremelin, c’est de lancer des réformes. « Réformer » ? D’accord. Mais « démocratiser », pas encore. Grand manitou du KGB, Andropov entreprend donc de remettre le pays sur le droit chemin, de rétablir l’ordre et la discipline communiste, de promouvoir le travail honnête, de contrôler l’alcoolisme –le plus grand fléau national-, d’évincer la vieille garde brejnévienne corrompue, bref, de faire renaître chez les russes une foi nouvelle.
En 1985, Gorbatchev poursuit le travail de son ami Andropov. La glasnost puis la perestroïka prônent transparence et reconstruction. Même à l’Ouest -où l’on voit la perestroïka comme une « démocratisation » de l’URSS, alors qu’elle ne fut qu’une ultime version du communisme-, on applaudit ce « vent de liberté » soufflé par le KGB et le Parti. Messianiques, estimant que le bonheur du peuple doit être fait malgré lui, les patrons négligent cependant le facteur humain, pourtant essentiel. Dans les pays satellites, la mécanique s’enraye dès 1989 : En Pologne, les élections sanctionnent le net recul du POUP, le PC local. Même scenario à Budapest où la vox populi refuse les réformateurs communistes. Le coup fatal porté à l’URSS du KGB sera porté par les nationalistes Tchécoslovaques, puis par les Allemands de l’est qui feront tomber le mur de Berlin. Pris à la gorge, Gorbatchev signe le 11 octobre 1991 un décret abolissant purement et simplement le KGB, totem de l’empire rouge. Le 25 décembre, il démissionne devant les télévisions du monde entier. Presque 69 ans, jour pour jour, après sa création le 30 décembre 1922, l’URSS cesse d’exister, et le pavillon russe remplace le drapeau frappé de la faucille et du marteau sur le dôme du Kremelin de Boris Eltsine.
Mais il faudra plus qu’un simple changement de terminologie –le KGB abolit, il est remplacé par le FSB, Service fédéral de Sécurité- pour venir à bout de cet Etat dans l’Etat. Eloigné du pouvoir, le FSB n’en active pas moins les puissants leviers financiers (transferts de fonds, comptes secrets, détournements de capitaux, pétrole, diamants) qu’il avait consolidés avant sa chute, et des centaines de nouvelles banques poussent comme des champignons après la pluie. Financés par les anciens du KGB ou par le trésor de guerre du PC, ce sont eux qui tirent les ficelles de la nouvelle économie privatisée, débridée, capitalisée. Dans ses mémoires, Eltsine lui-même fait état de la gangrène : « La menace n’allait ni venir des communistes, ni d’une guerre civile, ni des séparatistes locaux, ni de nos propres Napoléon à épaulettes de généraux. Non, le pire danger allait venir des gens qui détenaient le grand capital ». Pendant son deuxième mandat, « la Russie ressemblait à un supertanker à la dérive, bourré de richesses, ballotté par les éléments, en proie aux convoitises de son équipage et sans capitaine pour redresser le cap », écrit Wolton. Plus de communisme en effet, mais toujours pas de démocratie, et un président très cardiaque, déprimé et aimant beaucoup la vodka. Une aubaine pour les fantômes du KGB, devenus oligarques introduits un peu partout au gouvernement. Alors directeur de la FSB, Vladimir Poutine semble disposé à offrir l’immunité à Eltsine et son clan, en échange de son soutien aux élections. Marché conclu. Après dix ans de parenthèse Eltsine, la Russie renoue avec le KGB.
La gestion radicale du conflit Tchétchène, suivie de la prise d’otage au théâtre de Moscou en octobre 2002 –qui aurait été orchestrée par le FSB, et sur laquelle la journaliste Anna Politovskaïa enquêta avant de mourir en 2002- annoncent la couleur de l’autocratie Poutine. Les tchékistes ne sont pas revenus aux affaires pour un simple intérim. C’est un retour à l’âge soviétique, le communisme en moins. En quelques mois, Poutine renouvelle le personnel du FSB pour y placer « ses » hommes, concentre les pouvoirs, musèle la presse (la plupart des médias appartiennent à des « amis » proches du Kremlin), contourne les élections libres (aucun parti d’opposition ne dépasse le seuil des 7% aux scrutins), corrompt la justice. Wolton rapporte que depuis le début du règne Poutine, « les pots-de-vin versés aux fonctionnaires de justice atteignent chaque année 100 millions de dollars ».
Avec sa croissance soutenue de 6,7% en moyenne depuis 2001, sa forte réserve de devises (130 milliards de dollars), son niveau de vie multiplié par trois, l’acquisition d’aciéries en Afrique du Sud, de stations Mobil aux Etats-Unis, et de 5% du capital du géant EADS ; faut-il avoir peur de la Russie de Poutine ? « Avec leur idéologie nationale-patriotique d’un autre âge, qui ne saurait mobiliser hors de leurs frontières, les maîtres actuels du Kremlin ne disposent pas d’une pareille force. Cette Russie-là n’a pas d’avenir », conclut Wolton. Admettons. Mais quid du KGB ? Tant que la Russie sera soluble dans l’oligarchie, il aura de beaux jours devant lui.
Marine de Tilly

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