jeudi 19 février 2009

Sexe intégral, dans Le Point, HS n° 9, 09/2006


Sexe intégral

Conclusion du HS du Point sur les textes fondamentaux de la litterature erotique.


« Gang bang », double et triple pénétration, SM, zoophilie, « bukkake », ondinisme, « fisting »…Vous ne comprenez pas ce langage ? Rassurez-vous, si vous ne tenez pas à faire l’expérience de ce type de pratiques sexuelles frénétiques, il vous reste une chance de vous mettre au parfum en lisant les histoires Sado-maso de Catherine Robbe-Grillet (allias Jeanne de Berg) dans L’image par exemple, les contes porno-cru d’Alina Reyes (Satisfaction, R.Laffont, 2002), ou encore les récits de partouse de Catherine Millet (La vie sexuelle de Catherine M, Le Seuil, 2001).
Le porno a désormais le vent en poupe, et c’est sous la plume de ces « filles de la libération sexuelle », de la pilule et de l’avortement, qu’a émergé ce courant littéraire marqué par une sexualité exhibitionniste et agressive. Friandes d’actes sexuels de plus en plus extrêmes, ces dames représentent sur le marché de la littérature charnelle plus de 80% de la production. A ce rythme, Sade et Bataille passeraient presque pour des enfants de cœur.
Depuis Dominique Aury, (Pauline Réage), dont Léo Scheer vient de publier la première biographie (Dominique Aury, La Vie secrète de l’auteur d’Histoire d’O, par Angie David), la littérature qui ne se lit que d’une main se conjugue donc au féminin, devenant un exercice presque imposé pour des auteur(e)s comme Marie Darrieussecq (Truismes, POL, 1996) ou Christine Angot (Les autres, Fayard, 1997), dont le salut littéraire n’était peut-être pas, au départ, dans les textes érotiques.
Séduisant de plus en plus d’apologistes, le genre a encore de beaux jour devant lui, puisqu’il a déjà sa relève : Lolita Pille, 23 ans, (Hell, Grasset, 2002), et Bénédicte Martin, 27 ans, (Warm-up, Flammarion, 2003) pour ne citer qu’elles, proposent une littérature porno-soft pour adolescentes amatrices d’huiles essentielles, de bougies et de chocolat. Enfin, véritables techniciennes du sexe, exposant la chair de manière chirurgicale, voire gynécologique, les lesbiennes se sont elles aussi fait une place au soleil du porno (Hétéro par-ci, homo par le rat, Cy Jung, KTM éditions, 1999).

Fini donc, le temps où la pornographie était réduite à une existence interlope, étouffée par la censure et l’interdit. Et oubliée, l’époque où elle n’était réservée qu’au seul ghetto des sex-shops et des salles spécialisées. Etre porno aujourd’hui, c’est être dans le vent, branché, et à l’inverse, refuser le porno signifie être coincé, réac ou rétrograde. Et la littérature de se faire le porte drapeau, la « caution intellectuelle » d’une industrie tentaculaire qui envahit notre quotidien, nos publicités et nos écrans d’ordinateur. Certaines marques de luxe se sont elles aussi engouffrées dans la brèche : En 2000, Vuitton utilise dans ses publicités des images qui flirtent avec le SM ou la zoophilie, alors que Dior adopte une « esthétique de la tournante », dans sa campagne de 2001…En français, ça s’appelle le viol collectif.

Après le temps du minitel rose, voici venu celui du Cyberporn on line. En 2002 déjà, le rapport Kriegel, rendu au Ministère de la Culture affirmait que la diffusion d’images X représentait près de 70% de la vente de contenus numérique en Europe et dans le monde. En 2006, le chiffre d’affaire global de cette perle économique s’estime à quelques 2,5 Milliards de dollars. Des dizaines de milliers de sites sont consacrés aux films X et à leurs ambassadrices, devenues des « stars » et des exemples, nouvelles icônes d’une nouvelle ère sexuelle. Invitées sur les plateaux de télé pour parler de leur métier, Brigitte Lahaie, Tabatha Cash et leurs jeunes élèves (Clara Morgan, Ovidie) sont plus que de simples « hardeuses » ou de la « chair à porno », elles sont des spécialistes du corps, affichent et revendiquent leur sexualité libre et choisie.
Aujourd’hui, il ne se passe pas une semaine sans qu’une actrice X ne soit invitée dans une émission culturelle ou de divertissement. Même la pédophilie, l’un des plus importants tabous sexuels de notre histoire, est exploité par la puissante machine devenue système. A l’heure où l’enfance est plus que jamais protégée dans nos sociétés, la pornographie interactive s’en empare, jusqu’à en faire un fondamental « normal » : d’un côté, il y a la traque et les procès très médiatiques des pédophiles (Michel Fourniret, Emile Louis, affaire d’Outreau). Et de l’autre, il y a le développement considérable de la pornographie infantile, (« kiddie » ou « chicken porn ») sur Internet, qui constitue, au moment même où Dutroux était arrêté, 48,4% des téléchargements de sites commerciaux pour adultes, la majorité d’entre eux concernant des enfants de 3 ans…On saisit mieux en tout cas pourquoi la censure pornographique ne finit qu’en anthologie.

Dans ce nouvel age du porno, le cinéma n’est pas en reste. Dès 1973, La Grande bouffe, un film « grand public », proposait à un cinéma français consentant ses premières scènes scatologiques. Lors de sa sortie en 1976 dans les salles japonaises, L’empire des sens est censuré pour son « caractère pornographique »dans son pays d’origine, le Japon. Amateurs d’interdits, les français (co-producteurs du film) s’en emparent avec gourmandise. Il est alors présenté au Festival de Cannes de la même année dans la quinzaine des réalisateurs, où il connaît un grand succès, ce qui lui vaudra une large diffusion dans le monde entier. Plus radical encore, les deux films de Cathrine Breillat, Romance en 1999, puis Anatomie de l’enfer (tiré de Pornocratie, Denoël, 2001), qui à leur tour défrayent la chronique. Quant à Virginie Despentes, qui réalise en 2000 l’adaptation de son propre roman, Baise-moi ; une censure de principe n’eut pas très longtemps raison de l’engouement du public. Baise-moi crèvera finalement les écrans en août 2001, affichant une pornographie trash, à sexe et à sang. Rappelons aussi que depuis 1990, parallèlement au festival de Cannes, se déroulent les Hots d’or, version française des Oscars du Hard aux Etats-Unis.

Sans garde-fou, la frontière du tolérable recule, laissant progresser celle du toléré. Arrivée à un tel stade de promotion, personne ne semble pouvoir échapper aux images X, surtout pas les jeunes, qui sont les premiers à jouir ou pâtir de cette nouvelle sexualité imposée. Pour moins de 5 euros, on trouve des films ou des journaux hardcore dans la plupart des cours de récréations. Sur les ondes des radios dites « de jeunes », un adolescent de 14 ans demande un soir sur deux s'il peut éjaculer sur les seins de sa copine, ou des conseils pour la sodomie. Enfin, il n’est pas rare de trouver dans des magazines pour adolescente des tests de cet ordre: « comment devenir une vraie salope au lit» ?

A la merci de ce prosélytisme sexuel, les jeunes ont-ils seulement le choix ? A trop vouloir tout se permettre, et à force d’imposer un nouvel ordre industriel de la sexualité, on en a oublié le désordre érotique, et peut-être même la liberté. Mais dans notre monde capitaliste, il faut vendre, à tout prix. Or c’est la pornographie qui se vend, alors que l’érotisme se vit. Et les larmes d’Eros coulent toujours…
Marine de Tilly.

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