jeudi 19 février 2009

P. Labro, dans Le Figaro, 9/2003


Dans « Tomber sept fois, se relever huit », Philippe Labro raconte son combat avec ce « novembre de l’âme »


TOMBER SEPT FOIS, SE RELEVER HUIT de Philippe Labro, Albin Michel, 235 p., 17 €.

Parfois dans l’ombre, souvent dans la lumière, de la pellicule à la plume, de l’écoute à la parole, Philippe Labro est un homme de communication atypique. Journaliste à RTL, Paris-Match, France 3, etc., écrivain confirmé (Manuela, L’Étudiant étranger, La Traversée, publiés chez Gallimard...), réalisateur (La Crime, L’Héritier, Rive droite-Rive gauche...), et parolier pour Johnny Hallyday ou Jane Birkin, il consacre son dernier ouvrage à une autre traversée : la dépression nerveuse dont il a été victime, au sommet de sa réussite, entre septembre 1999 et mai 2001. Labro accoucheur d’âmes, explorateur de douleurs et de plaisirs, curieux de la vie et amoureux des arts, se confie à son tour dans Tomber sept fois, se relever huit (Albin Michel), un témoignage saisissant sur « cette tristesse sans larmes », ce « novembre de l’âme » qui touche, a touché ou touchera un Français sur cinq.

Il y a eu récemment Clément Rosset avec Route de nuit, Claude Berri, Autoportrait, avant eux Fitzgerald avec La Fêlure, William Styron et bien d’autres, aujourd’hui il y a Philippe Labro. Pourquoi ce goût du récit de la dépression ?
Philippe LABRO. Je ne crois pas que ce soit un engouement. Un écrivain, disons un être doué d’une certaine capacité de créativité, plus sensible que d’autres, peut subir de pareilles crises, imaginer que c’est une manière d’en savoir plus sur lui-même, car les écrivains parlent beaucoup d’eux-mêmes. Non par narcissisme mais par besoin. C’est peut-être aussi une manière de faire connaître aux autres une expérience, sinon universelle, du moins très vaste. Je trouve normal de se dire, « l’ayant vécu, j’ai envie de le retranscrire ». D’autant que, je le dis avec et sans modestie, je ne crois pas avoir lu chez les auteurs auxquels vous faites allusion ce que j’ai tenté de décrire dans mon livre.
Votre livre se lit comme une fable, vous racontez, vous vous confiez, vous analysez et vous concluez par une sorte de morale. Est-ce un mode d’emploi à usage des dépressifs ?
Non, ce n’est ni un bréviaire ni un coup marketing. Si j’ai éprouvé le besoin d’achever mon récit par un petit vade-mecum, c’était une manière de faire une synthèse, de mettre en évidence quelques principes simples. Car les choses simples ne doivent pas être tues. Sans être un livre de recettes, j’espère qu’il pourra, sinon aider, du moins éclairer certains aspects de cette maladie. On ne dit pas assez « consultez », « parlez », « reposez-vous sur l’amour des autres puisqu’ils sont là », et on ne dit pas assez « n’ayez pas honte ».
Vous vous adressez aux malades, mais seront-ils capables, alors qu’ils sont « indifférents à tout sauf à leur souffrance », au coeur de la tempête, de lire votre livre ?
Effectivement, ils sont, comme je l’ai été, incapables de lire quoi que ce soit. Mais il y a les autres, le mari, le père, le frère, la copine, qui vous voulez. Eux peuvent le lire, et peuvent peut-être aider celui qui souffre. J’écris pour un public sans limite. Puisqu’on nous dit qu’un Français sur cinq souffre, a souffert ou souffrira de dépression, je m’adresse aux quatre autres.
Quand vous écrivez « Celui qui n’a pas connu ça ne peut absolument pas comprendre », n’est-ce pas dissuasif pour quelques-uns de ces quatre autres, qui n’ont pas forcément vécu l’épreuve de la dépression ?
Vous ne connaissez pas ce mal et vous avez tout de même terminé mon livre, Dieu merci ! Mon ambition est de tenter d’expliquer, malgré tout. Je décris la douleur physique, cette machine qui vous ronge en permanence, si difficile à imaginer pour qui ne l’a pas vécue. Je crois que l’on ne peut pas complètement comprendre. J’essaye d’entrer dans le détail, de donner une représentation. Vous faisiez allusion à Styron. Je l’ai lu. Il ne va pas dans le descriptif. Il ne va pas jusqu’à rapporter l’incapacité du malade à sortir d’un périmètre de cinquante centimètres du canapé par agoraphobie, par peur de se lever, par angoisse de tout et de rien. Voila ce que j’essaye de montrer, de faire voir à mes lecteurs.
Vous conseillez aux dépressifs qui remontent la pente de « ne pas trop afficher cette victoire qu’est leur guérison ». N’est-ce pas ce que vous faites en écrivant ce livre ?
La satisfaction de la guérison doit rester intérieure. Ce n’est pas la peine de crier sur tous les toits : « Regardez : je vais bien, j’ai vaincu le démon. » Il me semble que ce livre raconte tout de même plus longuement l’histoire d’une défaite, plutôt que celle d’une victoire. Moins qu’une réussite, c’est la fin d’un échec. Et puis au fond, relativisons, pensons à la douleur des autres. On ne peut pas appeler cela une victoire quand on sait la somme quotidienne de souffrances qui traverse l’humanité. Gardons un peu d’humilité. En même temps, vous vous exposez dans ce témoignage... Oui, un écrivain s’affiche, c’est incontestable. Mais encore une fois, tout dépend de la manière dont il s’affiche. C’est un exercice difficile. Il s’agissait à la fois de ne pas franchir les limites d’une impudeur que je déteste et d’un exhibitionnisme qui ne me ressemble pas, tout en décrivant, sans mentir, suivant le conseil d’Hemingway : « Raconte comment c’était. » Vous faites de l’humour et de la modestie deux des principaux héritages de la maladie. On vous a souvent reproché de manquer de ces deux qualités.
La tempête passée et le livre publié, avez-vous le sentiment d’avoir changé ?
Que l’on m’ait reproché orgueil, prétention, ambition, suffisance, peut-être. Et peut-être en ai-je été l’acteur ou l’auteur. Mais en réalité j’ai plutôt tendance à être insatisfait de ce que je fais ou j’écris, parce que j’estime que l’on peut toujours faire mieux et aller plus loin. D’autre part, je me suis forgé suffisamment de modèles tellement au-dessus de ce que je n’arriverai jamais à atteindre que je suis contraint de rester modeste. Enfin, il me semble qu’avec mes expériences, mes voyages, mes rencontres, mes travaux, la réalité est un très grand fond de lucidité sur moi-même, d’humble reconnaissance du fait que, si j’ai un petit talent, je ne fais que le tirer vers le haut. Quant à l’humour, c’est une vertu extraordinaire. L’humour et le rire. Et rire de soi est un signe de bonne santé.
Riez-vous souvent de vous-même ?
Bien sûr ! Il faut savoir observer le clown qui est en soi, et, comme dit Nietzsche, le clown n’est jamais loin du sage. Il faut savoir prendre le millimètre de recul interne pour parfois se rendre compte du grotesque et du ridicule de nos actions. Si on y parvient, un petit brin de maturité, de sagesse et de force intervient et vous permet de mieux faire face à des combats ou à des défis. Il ne s’agit pas de rire tout le temps, on ne peut pas rire face à l’atrocité du monde, mais rire de sa propre faillibilité.

Marine de Tilly.

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