jeudi 19 février 2009

G. Depardieu, pour Transfuge, 11/2007


Depardieu, un homme peu fréquentable?

Gérard Depardieu, Itinéraire d’un ogre, par PatrickRigoulet, Le Rocher, 322 p., 19,90€.

« Ce livre n’est pas une plaidoirie ou un acte d’accusation », peut-on lire sur la quatrième de couverture de la biographie non autorisée – et très attendue - de Depardieu. Une plaidoirie ? Pas de doute, on n’en est loin, très loin, c’est le moins que l’on puisse dire. Pour ce qui est de l’acte d’accusation en revanche, et même si l’on admet volontiers que Patrick Rigoulet hésite à s’attirer les foudres du colosse berrichon (qui a le coup de boule très facile), difficile de nier l’évidence, il a trempé sa plume dans le vitriol et son verdict est sans appel : Mauvaise foi prodigieuse, mensonges constants, contradictions innommables, obsession de l’argent, vulgarité, brutalité verbale et physique, goinfrerie sexuelle et accomplissement éthylique certain, bref, pour le journaliste biographe, le pire de tous les hommes, c’est ce salaud de Gégé. Pourquoi alors, à la simple pensée de l’horrible créature, esquisse-t-on une sorte de sourire complice, mélange d’admiration, de compassion et de sympathie ? Pourquoi encore, en refermant ce livre-missile, notre image du comédien aux 200 films n’a-t-elle pas bougé d’un iota ? Sans doute parce que tant que l’on n’est pas sa femme, son fils ou son producteur, ces vilains défauts participent copieusement du « mythe Depardieu ».

Il faut dire que tout n’avait pas très bien commencé pour l’idole. Son enfance à Châteauroux ressemble à un mauvais rêve. Papa est absent, chômeur et alcoolique, et maman peu attentive. Entre ennui, manque d’amour, petits trafics et grosses emmerdes, le minot emmêle sa vie dans toute sorte d’embrouilles qui ne mènent nulle part, sauf en taule. A sept ans, il passe ses journées à zoner et ses soirées à cuver du mauvais vin. A treize, il a la carrure d’un boxeur, il casse du bourgeois à gogo et courre les prostituées. A seize, il quitte sa province sur un coup de tête, débarque à paris et monte sur scène.
Jean-Marie Cochet, son Pygmalion, est immédiatement séduit par la brutalité diffuse qui émane de sa carcasse de lutteur de foire. Mais Gérard n’est pas sûr de son talent. Avec son pote Michel, il continue à traîner, suit vaguement des cours de théâtre, se saoule dans les bars humides de la Montagne Saint Geneviève, étouffant comme il peut les souvenirs d’une enfance volée. Puis vinrent les années 70, le bout du tunnel peut-être, la rencontre avec sa femme, Elisabeth Guignot, et la naissance de Guillaume (71) et Julie (73). Repéré lors d’une représentation de « routine » par Bertrand Blier, il est choisi pour donner la réplique à Patrick Dewaere et Miou-Miou dans Les Valseuses. C’est le début du succès, des excès et de toutes les folies ; la machine Depardieu est lancée.
Pendant que la France de Giscard déprime au Tranxène, de son côté, le jeune premier s’encanaille : alcool, délires post adolescents, joints, bars à putes, coke, bastons, boîtes libertines, « pèze et baise », entre deux crises de désespoir, c’est l’orgie entière, totale, acharnée : « Quand Depardieu a encore faim, il va sonner aux portes des boîtes échangistes parisiennes, notamment le club 106, rue du Faubourg Saint Honoré, puis le 41 rue Quincampois, rendez-vous bien connu du show biz et de la télévision . « Affamé en quasi permanence », alors qu’il « s’abandonne à la luxure avec un appétit féroce », son compte en banque gonfle à vue d’œil, et son carnet d’adresse aussi. Avec cette façon sans façons de s’imposer dans la vie des autres, il approche Duras, Maurice Pialat, Audiard, Jean Carmet, Ginsbarre (avec qui il tourne Je t’aime moi non plus en 1976) et tant d’autres. Les plateaux de cinéma se suivent et ne se ressemblent pas, tandis que l’acteur le plus sollicité de France dévore les jours, les gens et surtout l’argent comme un ogre. Patrick Rigoulet évoque par exemple l’habitude qu'il avait, à chaque fin de mois, d'aller lui-même encaisser le loyer de Nathalie Baye, qui louait alors un appartement de famille rue Lepic. Histoire d'être sûr qu'elle paie en temps et en heure. Ou encore ces petites combines menées par son amie Margotton (Duras) et qui consistaient à acquérir des chambres de bonnes et à les louer à des réfugiés politiques.
Dans la moiteur des années 80 et jusqu’au nouveau siècle, sa carrière se déchaîne : Le dernier métro, de François Truffaut, avec Deneuve et Poiret, remporte dix Césars, La chèvre, de Francis Veber, est un immense succès populaire, puis vient le Danton d’Andrzej Wajda, Tenue de soirée, Sous le soleil de Satan, palme d’or du festival de cannes 87, ou encore Cyrano, dans les bottes duquel Depardieu crève littéralement l’écran, tout comme dans Tous les matins du monde , d’Alain Corneau en 91. Mais au sommet de son septième art, le géant rabelaisien n’est plus qu’une outre à vin (il ingurgite huit à neuf litres de vins pas jours, rapporte Rigoulet), et il devient une sorte de parrain omnipotent, bête noire du cinéma français. Fou de rage pour de sombres raisons, il casse tout dans la loge de Corneau sur le tournage de Tous les matins du monde. Il en avait fait autant dans celle de Rappeneau l’année précédente. Défoncé de pied en cap, il ne connait pas ses répliques dans Vatel (2000), et y multiplie les colères homériques. On se souvient enfin des quelques rots qui avaient volés la vedette à la distinction donnée à sa fille Julie, lors d’une certaine cérémonie en 2004. Le show biz est peut-être trop bourgeois, trop étriqué, trop tout pour la petite frappe de Châteauroux. Plus personne ne le supporte, lui et sa « machine à broyer les cons » comme il dit. Peu à peu, qu’il soit vraiment dépressif ou faussement euphorique, le Depardieu drôle et « décontracté du gland » des Valseuses se fait la belle.
Souvent ravagé par les grammes d’alcool qui se promènent en bataillon dans son sang, Gégé n’en est pas moins un homme d’affaire hors pair. Car quand il s’agit de parler business, il sait être sérieux, et sobre, surtout. Vin, pétrole, société de production, restauration, politique, blanchiment d’argent : Depardieu n’a peur de rien, et demande tout. De sa juteuse société de production (GG production) aux hectares de vignes qu’il exploite un peu partout dans le monde (et dont il conserve jalousement les nectars dans des caves murées) ; en passant par ses combines avec le sulfureux Rafik Kalhifa ; son pacte avec Vladimir Meciar, « Le Pen slovaque » qu’il est allé soutenir en 98 contre une généreuse rétribution financière ; et enfin son « amitié » de circonstance avec Fidel Castro et son or noir, tout semble prétexte à renflouer les caisses personnelles de Gargantua. Qu’importe les méthodes, pourvu qu’on ait le fric. Familier des hommes d’Etat, proche de certains sérails mais peu porté sur la politique (il confesse d’ailleurs dans ce domaine une inculture notoire), Depardieu nage encore une fois en plein paradoxe. Tutoyant aussi bien Mitterrand que Chirac, copinant avec les pontes de l’industrie, de Lagardère à Bouygues, il butine sans vergogne partout où il y a du pouvoir, et donc de l’argent.

Pingre, infidèle, obsédé, alcoolique, colérique, violent…Depardieu « cumule les mandats », et n’a à la lumière de ce portrait pas grand-chose pour plaire. Et pourtant, il en a conquis, des femmes, et pas les plus repoussantes. Elisabeth, d’abord, belle bo-bo sensible cultivée, la mère de deux de ses enfants, Fanny Ardant ensuite, Catherine Deneuve, sa muse, Karine Sylla, jeune mannequin Sénégalaise qui lui donna une deuxième fille, Roxane, et enfin celle qui restera comme « la » femme de sa vie, la sublime Carole Bouquet. Et c’est sans compter les amitiés sincères qu’il a tissé avec Miou-Miou, Nathalie Baye ou Marguerite Duras. C’est sans compter, surtout, l’histoire passionné qui le lie à son public depuis plus de 30 ans, un public fidèle qui lui pardonne tout, et ne retient de ce jouisseur impénitent que le parcours météorique, et le talent à l’état brut. Il parait qu’il n’y a pas de cinéma sans comédien… Une chose est sûre en tout cas, il n’y a pas de cinéma français sans Gérard Depardieu.
Marine de Tilly.

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