vendredi 27 février 2009

M. Prazan pour Transfuge, 01/2008


La trouble Vérité du massacre de Nankin

Le massacte de Nankin 1937, entre mémoire, oubli et négation, de Michael Prazan, Denoël, 300 p., 20 €.

L’Histoire est un vrai casse-tête. Surtout quand il s’agit de ses pages les plus sombres. Entre la Chine et le Japon, il est un chapitre qui reste ouvert comme une mauvaise plaie, un chapitre inoubliable, impardonnable. Ce chapitre, c’est celui du massacre –de la « bataille», diraient les japonais- de Nankin, capitale du régime nationaliste chinois. Tout commence en 1931, quand le Japon décide de mettre à profit la guerre civile en Chine (communistes contre nationalistes) pour occuper la province de Mandchourie. Trop occupés à s’entretuer, les Chinois se laissent doucement envahir, jusqu’à au jour où un incident anodin – un prétexte ?- met le feu aux poudres. Le 7 juillet 1937, non loin de Pékin, un soldat japonais disparaît sans raisons. Convaincus qu’il a été enlevé par les militaires Chinois – en réalité, il n’avait fait que s’attarder dans un bordel- les troupes japonaises profitent de l’occasion pour déclarer la guerre à leurs ennemis. Côté chinois, c’est vite la débâcle. Plus elle gagne en terrain, plus l’armée impériale se déchaine sur les soldats et les populations. La terreur et les massacres deviennent légion, jusqu’à atteindre leur paroxysme à Nankin, au mois de décembre. 50 000 ? 430 000 victimes ? Difficile de le savoir. Entre héroïsation et diabolisation, Chinois et Japonais se disputent, encore aujourd’hui, la vérité d’une tragédie. Dans Le massacre de Nankin 1937, Michaël Prazan confronte les documents d’archives aux témoignages pour tenter d’éclairer, dans le plus grand respect des morts, le souvenir de Nankin, l’un des plus funestes – et des plus méconnus aussi- de l’Histoire du XXème siècle.
Le 13 décembre 1937, après un pilonnage de trois jours, l’armée impériale entre dans Nankin. En quelques heures, la broyeuse nipponne se met en marche, et les troupes du mikado arborent fièrement leurs baïonnettes en hurlant « banzai » avant d’exécuter froidement militaires et civils. Traqués, désarmés, abandonnés par leurs supérieurs, les soldats chinois abandonnent le combat par unités entières. Et pour ceux qui ne se rendent pas spontanément, ca sera la torture publique. Dans la rue, les japonais arrêtent tous les hommes en âge de combattre et suspects d'avoir porté une arme ou un casque. Submergés par la masse de prisonniers, les chefs militaires nippons ordonnent le massacre des détenus, envers et contre toutes les lois de la guerre (Convention de Genève, 1929). A la baïonnette, à la mode depuis peu, au sabre ou encore à la mitrailleuse, les soldats sont exécutés par groupes de douze. Ainsi, cet ordre reçu le 13 décembre par le 1er bataillon du 66è régiment d’infanterie, 114è division : « Vous exécuterez tous les prisonniers conformément aux ordres de votre brigade. En ce qui concerne la méthode d’exécution, pourquoi ne pas constituer des groupes de douze soldats que vous attacherez ensemble et fusillerez les uns après les autres ? » On évalue entre 30.000 et 60.000 le nombre de soldats tués de la sorte dans les premiers jours.
Après les militaires, ce fut le tour des fonctionnaires, suspectés de collusion avec le parti nationaliste de Tchang Kaï-chek, et enfin des civils. Au début du mois de janvier, la terreur devient endémique. Elle frappe tous les habitants de la ville, hommes, femmes et enfant, indistinctement. Les soldats enlèvent les femmes de tous âges et se livrent à des viols collectifs, dans des conditions abominables. C'est aussi à Nankin que les Japonais mettent en place le système des «femmes de réconfort», séquestrant des femmes de toutes conditions dans des bordels de campagne. Même John Rabe, un américain converti au nazisme, ne supporte plus la barbarie. Dans un rapport directement destiné au Führer, il s’effraye des assassinats de masse: « Ils (…) violent les femmes et les filles, tuant toute chose, toute personne leur opposant la moindre résistance, ceux qui tentent de leur échapper ou qui n’ont que la mauvaise fortune de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Il y eu des filles de moins de 8 ans et des femmes de plus de 70 violées de la plus brutale des manières, tombées inconscientes sous les coups. Nous avons vu des cadavres de femmes gisant sur des verres à bière, et d’autres qui avaient été transpercées par des lances de bambou. J’ai vu ces victimes de mes propres yeux ». Berlin et Tokyo avaient en effet signé, le 25 novembre 1936, un pacte antikomintern orienté contre les Soviétiques ; et les deux puissances agissaient depuis main dans la main. Mais le rapport de Rabe, pas plus que les images du massacre qu’il avait filmé, n’eut pour seul effet que d’attirer l’attention de la Gestapo sur ce « mauvais nazi » et ses épanchements humanitaires. Il fut jeté en prison en Allemagne, avec sa femme, en 1938. Encouragés par l’état major japonais, motivés par un esprit de corps fanatique, « victimes » de leur formation quotidienne sordide et violente dans les casernes (les entrainements « à coups de claque »), les soldats nippons cultivent une mystique du « nouveau samouraï », une fascination pour le sabre et la baïonnette, et un mépris absolu pour la reddition ou les considérations « humanitaires ». Pendant tout le siège, jusqu’en février 1938, Nankin est enragée, déshumanisée, violée, traquée jusqu’à la folie.
Aujourd’hui encore, il est difficile de connaître le chiffre exact des morts dans l’enfer chinois. Entre les corps jetés dans le fleuve Yang Tsé, les cadavres brûlés, et ceux qui ont été mis en terre, un recensement « réel » est impossible. A ces difficultés « statistiques », s’ajoute la surenchère idéologique, des deux côtés des baïonnettes. Les révisionnistes nippons tentent de « justifier » l’injustifiable : un « débordement », un déchaînement plus ou moins spontané de la part de soldats japonais rendus à moitié fous par les souffrances, les privations, et l’endoctrinement. Les chinois quant à eux, défendent la thèse d’une politique de génocide : l’objectif des Japonais – de l’état-major au simple soldat – était moins de gagner la guerre que de tuer et de violer le plus de Chinois possible, hommes, femmes, enfants. Prise en otage par la politique, la mémoire du massacre de Nankin est devenue une véritable arme de temps de paix. Soixante dix ans après, la propagande et l’instrumentalisation du drame menace toujours l’équilibre de la région. Et pendant que les idéologues se disputent « la » vérité à grands coups de propagande, fils et petits fils des victimes cherchent toujours le sens de leur existence, bâtie sur les ruines d’une mémoire bafouée.

Encadré 1: Convention de Genève
La Convention de Genève du 27 juillet 1929 sur le traitement des prisonniers de guerre compte 97 articles. Elle pose le principe général selon lequel les captifs doivent être traités, en tout temps, avec humanité. Ils doivent être notamment protégés contre les actes de violence, les insultes et la curiosité publique ; en outre il est interdit d'exercer des représailles contre eux. Dans le cas du massacre de Nankin, et à la lumière de tous les documents et témoignages rassemblés par Michaël Prazan, il ne fait aucun doute que ces règles de guerre n’ont, en aucuns cas, été respectées.

Encadré 2 : Témoignage de Xia Shu-xin, aujourd’hui âgée de 77 ans, qui en avait 7 au moment des faits
« Le matin du 13 décembre 1937, beaucoup de soldats chinois ont fait irruption chez moi. Ils étaient comme des bêtes. (…)Je suis la troisième parmi quatre filles. On s’est toutes cachées dans la chambre, et on est entrées dans le lit, sous les draps. Mes grands parents, qui étaient avec nous dans la chambre, se sont assis au bord du lit pour nous protéger. Les Japonais sont entrés dans la chambre et nous ont trouvées. Ils ont essayé de nous tirer hors du lit. Je n’entendais plus mes grands parents, tous deux étaient déjà morts. (…)Quand j’ai repris connaissance, ma grande sœur était allongée nue sur une table. Celle qui était âgée de treize ans était étendue sur le lit, son corps inerte au dessus du mien. J’avais très mal et je pleurais. J’étais couverte de sang. Ma petite sœur de 4 ans pleurait aussi. (…) Les soldats m’ont percé trois fois le corps avec leurs baïonnettes. Après j’ai perdu connaissance. (…)J’étais jeune et je ne comprenais pas ce qu’il venait de se passer. Quand je pense aux cadavres de mes sœurs maintenant….elle n’avaient plus de vêtements. Elles ont été violées et ensuite assassinées. Et moi, j’ai reçu des coups de baïonnettes. (…) Quand je pense à tout ça, je pleure. Je n’arrêterai jamais de souffrir. »
Marine de Tilly.

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