vendredi 20 février 2009

I. Allende, pour Le Point, 12/2007


Le Chili au coeur

Inès de mon âme, d’Isabel Allende, traduit de l’espagnol par Nelly et Alex Lhermiller, Grasset, 384 p., 20,90€.

Un bout de bout du monde. De ces livres qui vous racontent les destins minuscules qui font à la fois l’Histoire et la Géographie. Le roman d’une double naissance ; celle d’une femme, Inès Suarez, en même temps que celle d’un pays, le Chili. Il faut dire qu’Isabel Allende est une grande portraitiste. Dans Fille du destin, elle retraçait le parcours d’Eliza dans un San Fransicso en pleine mutation. Avec Portrait Sépia, c’était au tour d’Aurora de chercher ses origines entre Ancien et Nouveau Monde. Cette fois, c’est la vie hors du commun d’Inès Suarez qui nous est conté dans Inès de mon âme, un titre qui dit toute la tendresse de l’auteur pour son héroïne. Dans l’Espagne orageuse de Jeanne la Folle et des Rois Catholiques, une jeune couturière « de la rue du Viaduc » part retrouver son mari de l’autre côté de l’Atlantique. Après une traversée homérique, pleine de saleté, de promiscuité, de marins bourrus, de nuits sans sommeil et de solitudes, L’« El Dorado » tant espéré a mauvaise mine. Pas de mari sur le port, pas de bras réconfortants, juste les robes noires de veuve pour Inès, loin, si loin des siens et de son Estrémadure natale. Une fois seule, elle choisira pourtant la liberté plutôt que l’amertume, l’aventure plutôt que le deuil. Aux côtés de Pedro de Valvidia puis de Rodrigo Quiroga, Inès se lance à cœur perdu dans la conquête du Chili. « Pour la gloire de Dieu et du Roi », elle fait tomber les épées espagnoles, tente d’adoucir la haine féroce des conquistadors qui débarquent au Nouveau Monde « comme des mendiants, se comportent comme des voleurs et se prennent pour des seigneurs ». Une femme au cœur de la sauvagerie colonisatrice, une touche de sagesse dans un Santiago à feu et à sang, ce fut donc possible. A travers la voix d’Inès Suarez, Allende « réinvente » une fois encore son pays, le Chili « de son âme », avec toujours autant de grâce.
Marine de Tilly.

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