jeudi 19 février 2009

V. Alexakis, pour Transfuge, 11/2007


"Le monothéisme engendre la vilence"
Ap. J.-C, de Vassilis Alexakis, Stock, 391 p. 20, 99 €

C’est un pays où il y avait des mythes, des dieux, des philosophes, Socrate et Platon. Et puis un jour, il y eu des Byzantins, des Chrétiens et des apôtres du monothéistes. Entre ces deux pages de l’Histoire de la Grèce, il y a l’Athos, La sainte Montagne, « la Mecque des orthodoxes ». A travers l’enquête d’un jeune héros amoureux des présocratiques sur les trace du frère de sa logeuse, Vassilis Alexakis revient sur cette « tragédie » toute grecque, où ancien et nouveau monde se disputent la modernité. Ap. J.-C, un roman rapide, tendre et érudit qui ajoute une note engagée à la partition littéraire d’Alexakis.

Apres avoir été journaliste et écrivain, vous vous faites maintenant historien ?
C’est vrai qu’il y a très peu de livres sur la fin du monde antique et le triomphe du christianisme. Et il y a surtout le fait que les livres d’histoire n’ont jamais signalé l’opposition radicale qu’il existait entre les Grèce classique et Byzantine. Tout le monde pense que le passage de l’un à l’autre s’est fait gentiment, par la force des choses, alors que ce n’est pas du tout le cas. La Grèce Antique s’est battu pour garder ses Dieux, et c’est ça, l’élément que les pères du Christianisme ont un peu oublié de raconter. Le Mont Athos est avant tout le symbole de cette Grèce Byzantine qui a volé son pouvoir à la Grèce Antique. Aujourd’hui encore, on ne sait pas les magouilles, le pouvoir et l’influence du Mont Athos sur la politique grecque, on ne sait pas la haine des femmes, des juifs et j’en passe qui y sont cultivés. Cette montagne n’est pas un lieu d’amour, c’est un lieu de haine, et ça, ça n’a jamais été dit, ou pas assez fort. L’intérêt de ce livre, c’est de faire éclater tout cela, à travers une histoire plus personnelle, celle de mes personnages. L’astuce romanesque était un bon moyen de parler du combat entre les présocratiques et les Byzantins, et de le rendre lisible.

En somme, vous vous faites dans ce roman l’avocat des présocratique, et du polythéisme…
C’est assez simple, le monothéisme engendre forcément la violence. A partir du moment où l’on croit en un Dieu unique, quel qu’il soit, on déclare automatiquement la guerre aux autres religions. Les fidèles des Dieux antiques ont résisté tant qu’ils le pouvaient, mais le monothéisme a remporté cette bataille. Vous vous rendez-compte que dès de IVème siècle après Jésus Christ, les païens étaient condamnés à mort ? C’est ça, Byzance : la peine de mort pour les païens. Et tout ça, scrupuleusement dissimulé par l’Eglise. Aujourd’hui, il y a un vrai fanatisme religieux en Grèce, qui n’est d’ailleurs pas si éloigné du fanatisme musulman. J’ai parlé à un membre du parlement en travaillant sur mon livre. Cette députée a reçu des menaces juste parce qu’elle demandait à ouvrir l’accès de la « sainte Montagne » aux femmes. C’est dingue. Pour moi, le fanatisme est lié au monothéisme imposé par la Grèce Byzantine.

Contrairement à vos précédents romans, qui naviguent entre la France et la Grèce, Ap. J.C est très grec.
Il y a quand même un apport français dans ce livre. Et ce qui est amusant, c’est que le seul personnage français, c’est l’archéologue. Il se trouve aussi que c’est à Paris que sont publiées les archives du Mont Athos. Et puis il y a ce vieux moine normand que j’ai rencontré lors de mes recherches, sur le Mont, ce vieillard de conte de fée qui m’en a beaucoup dit. Mais c’est vrai que c’est un livre beaucoup plus grec que français. Ça ne pouvait être que ça, de toute façon, car ce drame, -l’abandon du monde sublime de l’Antiquité pour celui du dogme étouffant et hostile à toute forme de liberté qui l’a suivit ; la mort de Socrate, de Platon et de toute la philosophie au profit d’une alliance indissoluble entre l’Eglise et l’Etat-, tout ça ne s’est passé qu’en Grèce. Ce n’est qu’en Grèce que ça a été tragique, probablement parce que c’est en Grèce qu’il y avait quelque chose à détruire. C’est l’histoire d’un crime qui n’a et n’aura jamais la même consonance ailleurs.

Vous être sacrément remonté…
Vous savez, il y avait à l’époque une guerre à livrer, elle a été gagnée par le monothéisme, mais au fond elle n’est pas finie. Quand on sait à quel point le Mont Athos est lié avec tous les partis politiques ou presque, aujourd’hui encore, et quand on voit cette soumission des dirigeants devant l’Eglise, on se sent un peu seul face à ce combat.

Pourquoi alors ne pas avoir écrit ce livre en grec, pour les grecs ?
J’écris dans les deux langues, dans les deux sens. J’ai des notes en grec, d’autres en français, j’écris une première fois dans une langue, et puis je retravaille le texte dans un autre, peu importe le sens, c’est un gage de qualité. Passer d’une langue à l’autre, ça a l’immense avantage de se contrôler, de se corriger, et je pense que ce n’est pas un mal en littérature. Je suis du coup deux fois plus exigeant, et je ne me laisse pas aller au plaisir de la facilité, au bavardage. Ca donne une écriture plus rapide, et plus drôle aussi. Et le bavardage n’est jamais drôle. Je pense que mes livres vaudraient certainement moins si je ne jouais pas sur les deux langues. Mais pour en revenir au premier sens de votre question, Ap. J.C est d’abord sorti en France mais on en parle déjà à Athènes (où il sortira en novembre). Dénoncer, même à travers un roman, l’histoire de ce fondamentalisme qui a succédé à la philosophie, ce n’est pas anodin.

C’est carrément un acte politique, vous brisez l’Omerta.
Il est grand temps d’aborder ce sujet, essentiel pour la culture et l’identité grecque. Et oui, c’est un acte politique dans le sens où cette histoire a l’air de dater d’hier, l’Antiquité semble lointaine et cette guerre entre philosophes et pères de l’Eglise remportée. Mais pourquoi alors, aujourd’hui encore, l’Eglise est-elle toujours aussi hostile aux découvertes par exemple ? Pourquoi, quand des archéologues font des recherches au pied du Mont Athos, les moines leurs tirent dessus ? Les moines voient le Mont comme une jupe, et gare à celui qui s’amuse à regarder en dessous. Voilà, c’est ça, la Grèce. Ca me rappelle les fondamentalistes musulmans qui détruisent les statues de Bouda. En Grèce c’est a même chose, et s’ils pouvaient détruire le Parthénon, effacer toutes les traces de l’Antiquité polythéiste, ils le feraient volontiers !
Au-delà des conflits, anciens ou actuels, ce roman est un hommage à la Grèce classique, aux présocratiques.
Bien sûr. Les présocratiques sont les fenêtres du livres. Heureusement qu’il y a ce dialogue avec la Grèce Antique, sinon je crois qu’on étoufferait. Vous savez, ces gens là étaient de très bonne compagnie, ils étaient des gens charmants, qui parlaient de tout, de l’amour, de façon sublime. Ce n’est pas dans mon livre, mais je lisais je ne sais plus quand je ne sais plus quel philosophe grec qui, à la question « Quel est le bon moment pour tomber amoureux ? », répondait : « quand vous souhaitez être malheureux ». C’est très beau. On aimerait bien dîner avec eux, ces philosophes, prendre le même train qu’eux, passer du temps avec eux. Et brusquement, on est passés de ces gens à l’humour magnifique aux curés. Directement. Des statues blanches, on est passé aux soutanes noires. La transition est terrifiante, c’est le jour et la nuit.
Comme souvent dans vos livres, il y a encore beaucoup d’absents dans Ap. J.-C
Vous avez raison. L’absence est peut-être une obsession, ou une crainte. C’est vrai qu’elle est « présente »dans tous mes livres. Dans La langue maternelle, c’est l’absence de la mère. Dans Les mots étrangers, c’est la mort du père, et là, c’est l’absence d’une civilisation que le narrateur adore, et celle du frère de Nausica, l’autre héroïne. Cette double absence, du frère et d’un monde disparus, se reflètent l’un dans l’autre. La morale, c’est peut être que comme les êtres, les civilisations ont une fin. Nausica a perdu son frère il y a cinquante ans, les présocratiques ont disparus depuis des siècles, mais au fond, il s’agit là de la même absence. Le mot « absence » définit assez bien mes livres, peut être parce que ma vie en est une. Les journalistes écrivent souvent que j’habite deux villes à la fois, Paris et Athènes. Finalement, peut être que je suis plutôt absent de deux villes, et que ma propre absence m’accompagne.
Marine de Tilly.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire