vendredi 20 février 2009

M. Ali, pour Le Point, 11/2007


Eclats d'âmes

Café Paraiso, de Monica Ali, Belfond, 309 pages, 20€.

C’est comme ces PMU du bout du monde où l’on s’arrête par hasard, sa vie en bandoulière, après un long voyage. Ca pue le tabac froid, le café froid, les âmes froides. Un patron gueulard derrière le bar, un type sous tranxène affalé sur le zinc, des jeunes aimantés au flipper, et quelques touristes pour la couleur. Ah, et un écrivain exilé en quête d’inspiration bien sûr. Pas vraiment excitant donc. Mais loin de chez nous on le sait, le monde prend une autre couleur. Quelques degrés celcius de plus, un air de fado dans le juke box, et le glauque se fait pittoresque, le sinistre exotique. Au Café Paraiso, un rade perdu dans le fin fond du Portugal, il fait bon poser ses valises, sa vie, ses solitudes, sous le soleil exactement. On y entre au bout du rouleau, et on en sort avec un sourire en coin, en se disant que finalement, on n’est peut être pas le plus malheureux. Sur le comptoir brûlant de Vasco, le taulier obèse qui plus jamais ne passera le cap de Bonne Espérance pour rejoindre « son » Amérique, Monica Ali fait défiler ces gens à qui il n’arrive presque rien, c'est-à-dire presque tout. João n’avait qu’un ami, Rui, qui s’est suicidé à plus de quatre-vingts ans. Ce soir peut-être, Teresa fera enfin l’amour à son petit ami avant de partir en Angleterre pour devenir fille au pair. Marco vient de rentrer au pays après un long voyage « d’affaire », les poches pleines de dollars venus d’on ne sait où. Partis loin de chez eux pour réfléchir à leur engagement, Huw et Sophie ne rentreront peut-être pas, comme prévu, la bague au doigt. Quant à Harry, sensé achever un roman sur William Blake, il plonge chroniquement son regard éthylique sous les jupes de la fille (ou de la mère) Potts, une famille d’expatriés excentriques installés dans le coin… Avec sa façon de jouer de l’union, si tentante, du tragique et du comique, Monica Ali déchire les codes habituels des romans où le pathos est sacro saint. Avec sa plume vivace, elle nous raconte ces petites misères de comptoir, ces éclats d'existences attrapés au vol, ces destins de déprimés ordinaires qui font des héros magnifiques.
Marine de Tilly.

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