jeudi 19 février 2009

F. Daninos, pour Transfuge, 11/2007


CIA, Une Histoire politique

Franck Daninos, Tallandier, 458 p ; 23€.


Franck Daninos n’en est pas vraiment à son premier coup d’essai. Ce journaliste et universitaire spécialiste du renseignement et de la « guerre de l’information » avait déjà signé un essai extrêmement documenté sur La double défaite du renseignement américain, en 2006. Il revient avec CIA, une histoire politique, un voyage au cœur du Saint des Saints, dans les secrets de ces trois lettres qui fascinent et sentent fort le complot.

« Avant », il y avait une Amérique fière et indépendante, résolument isolationniste, convaincue de son auto suffisance. La diversité ethnique et culturelle de ses citoyens, ajoutée à la richesse de ses ressources, l’avaient conduite à se trouver bien assez « universelle » pour s’occuper de ce qu’il se passait ailleurs. A l’est, un océan ; à l’ouest, un autre océan. Au Nord et au Sud, des compétiteurs qui ne jouent pas dans la même catégorie : il n’y avait donc aucune raison de se soucier de questions de « sécurité nationale », et cette Amérique se tenait à l’écart des guerres européennes, et plus généralement de tous les conflits qui faisaient rage en dehors de ses frontières. « Avant », il y avait aussi une Amérique trop bien élevée, peut être un peu naïve, qui considérait que « lire le courrier des autres » n’était pas digne d’un gentleman. Le renseignement n’était qu’un sale boulot, dangereux et immoral, et même si les français et les britanniques étaient férus de ce genre de pratiques, l’Amérique, elle, ne mangeait pas de ce pain là (ou si peu…). Ce fut à ses risques, et surtout à ses périls.
Un sale matin de décembre 1941, alors que Roosevelt commençait juste à s’intéresser aux services secrets de son ami Churchill, cinq sous marins et près de 400 avions de la marine impériale japonaise attaquent la base navale américaine de Pearl Harbor, située sur une île du pacifique à 150 Km au nord d’Hawaï. En moins de deux heures, quatre navires de ligne, trois destroyers, trois croiseurs sont détruits et 188 avions sont pulvérisés au sol. Les pertes humaines sont dramatiques : 2 403 morts (dont 69 civils) et 1 178 blessés. Les Américains sont sous le choc, c’est la première fois qu’ils sont attaqués par un pays étranger depuis la guerre anglo-américaine de 1812. Ce « jour d’infamie » marque l’entrée des Etats Unis dans le second conflit mondial, une révolution idéologique, et la création de la première agence de renseignements américaine (sur le modèle anglais), l’ « Office of Strategic Services », autrement dit l’OSS, ancêtre de la CIA.
Oubliés, les théories autarciques et le sentiment d’invincibilité. « Après », il y eu une Amérique blessée, traumatisée, régie par la peur panique du communisme et de l’invasion ennemie, curieuse à outrance de tout ce qu’il se passait en dehors de chez elle, interventionniste et extrêmement présente sur la scène internationale, une Amérique espionne et sur informée qui créa six ans après le drame de Pearl Harbor la plus célèbre des compagnies de renseignements : la CIA.
On a tout dit sur la CIA. Depuis sa création à l’automne 47, alors qu’elle n’avait pour but que de « centraliser » les informations du GIG (Groupe central de renseignements), de l’armée et du FBI, jusqu’à ce qu’elle est aujourd’hui -une organisation civile qui ne dépend que du bon vouloir de la Maison Blanche ; la CIA fascine, et évoque, à elle seule, l’influence des Etats Unis aux quatre coins du globe. Devenue « Ministère du renseignement » pendant la guerre froide, elle laisse sa sage mission de « collecte de renseignement » de côté pour se concentrer sur l’équilibre des forces, l’anticipation des menaces et l’ennemi numéro Un, l’URSS. Ses agents passent alors au rang de super stars, et « l’objectivité, la recherche désintéressée de la vérité…. », deviennent les maîtres mots de la sacro sainte organisation. Et si par mégarde, un agent venait à les oublier, ils sont inscrits, comme une litanie, dans l’entrée de son quartier général. En traversant le hall, vous ne pouvez manquer, écrit Franck Daninos, l’inscription de ce verset tiré de l’Evangile de Jean : « Alors vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres ».
Après avoir été la guerrière de l’ombre qui, on ne sait pas trop comment, protégeait le pays de la menace rouge, la CIA change de statut pendant la Détente, lorsque ses activités d’espionnage domestique sont révélées. Le grand déballage commence alors, celui là qui charrie avec lui fantasmes, fantaisies et autres machinations. La CIA prend les traits d’une vilaine organisation sauvage et dangereuse, hors contrôle et hors limite. Pendant les années 80, on voit la main de la toute puissante « Central Intelligence Agency » partout. Dans tous les coups, surtout les plus tordus. Entre sa collaboration avec d’anciens nazis, sa participation à des expériences visant à manipuler l’esprit humain et ses relations très « rapprochées » avec le crime organisé, la CIA ne trimballe pas que des trophées. Comme si cela ne suffisait pas, elle joue aussi des paradoxes : Située sur la rive ouest de la rivière Potmac, en Virginie, son quartier général est protégé par une clôture électrifiée où patrouillent des hommes en armes et des bergers allemands. Pourtant, on croise de plus en plus ses dirigeants sur les plateaux des talk show populaires. Un pied dans l’ombre, l’autre sous le feu des projecteurs, à la fois « top » confidentielle et publiquement surexposée, la CIA ressemble à l’Amérique, elle est un mythe qui existe, symbole d’une nation forte et inébranlable. Au même tire que Disney land, Hollywood ou Mc Donald’s, elle diffuse dans le monde entier l’image crâneuse d’une Amérique superpuissante.
Le sol américain était un sanctuaire, il ne le resta pas. Les tours jumelles s’effondrent sous les yeux impuissants de ceux qui « auraient du » prévoir. Comment les services secrets ont-ils pu se faire surprendre par une attaque aussi massive et criminelle ? Dans le sillage de Pearl Harbor, les théories soutenant que « certaines informations capitales auraient été négligées par la CIA » fusent. Comme en 1941. A la différence peut-être qu’au moment de l’agression de la base américaine du pacifique, l’appareil de renseignement était très modeste.
Aujourd’hui, il coûte chaque année aux contribuables une trentaine de milliers de dollars. Une dizaine d’agences partagent ce gâteau. Avec ses moyens impressionnants, le renseignement américain est le plus puissant et le plus sophistiqué au monde. « Pas le plus efficace, semble-t-il ». Alors qu’ils doivent faire face, dans la foulée, au bourbier irakien, et aux violentes critiques sur les armes de destruction massive, à ce jour toujours introuvables, les services secrets américains opèrent la plus grande réorganisation de leur Histoire : nouveaux objectifs, nouveaux pouvoirs, nouvelles méthodes. Depuis ce 11 septembre tragique, la CIA concentre ses activités non plus sur l’action, mais sur l’analyse et la prévoyance des évènements d’importance, et la présence au plus près des ennemis des Etats-Unis. Quant à son rôle politique, ses relations changeantes avec la Maison Blanche et le Congrès, cela relève plus du « je t’aime moi non plus » que d’une structure organisée faisant autorité sur la planète.
Après soixante ans d’espionnage à l’américaine, soixante ans de cabale, de rapports secrets, de procès, de critiques, de menaces et de luttes de pouvoir , entre petites arnaques et gros scandales, la plus célèbre compagnie de renseignements de la planète, cette « troisième voie » entre la diplomatie et la guerre, est toujours, et malgré tout, considérée comme la dernière ligne de défense des intérêts américains. On la déteste, on la craint, on la fustige, mais on y tient. Depuis sa création, elle offre à ses acteurs comme au public américain un sentiment de sécurité, l’idée que « quelque chose » les observe et les protège. Alors que Big Brother « is not watching them anymore », la CIA, elle, veille encore, et surveille.
Marine de Tilly.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire