jeudi 19 février 2009

M.L. Colonna, pour Transfuge, 11/2007


L’Aventure du couple aujourd’hui

Marie-Laure Colonna, ed. Dervy, 243 p, 21 €.


Confessons-le d’emblée, L’aventure du couple aujourd’hui n’est pas un énième livre de développement personnel où l’auteur, se croyant magicien, nous délivre « le » secret du couple qui marche, preuves à l’appui. Et confessons-le encore, ce n’est peut-être pas un mal. Parce qu’il n’y en a pas, sans doute. Et parce que ceux qui ont intégré ce paramètre Lapalissien présument que la sérénité relationnelle est ailleurs. Marie Laure Colonna a choisi la philosophie, puis la psychanalyse, qui n’est finalement que la mise en pratique de la première. Dans un essai souvent jargonneux (les psychanalystes ont-ils déjà dit ou écrit les choses simplement ?), elle s’attaque à cette « aventure » fondamentale, à son histoire, à ses mutations. On y laisse quelques plumes (dernière confession), mais on apprend, sur nous et donc sur notre rapport aux autres.

Vous évoquez beaucoup la Grèce, comme si elle était une sorte de paradis perdu des couples. En quelques millénaires, a-t-on seulement perdu et rien gagné ?
Le logos a besoin d’être tempéré par l’éros. C’est la leçon des grecs, et c’est ça que l’on a oublié. Nos techniques industrielles se sont emballées, et il y a eu une disproportion, un décalage énorme entre ce triomphe du logos, de la technique, et la sagesse. Autrement dit, et pour faire simple, il s’agit aujourd’hui de rééquilibrer le quotient intellectuel, qu’on a adoré pendant tant d’années, et le quotient émotionnel. On est en train de se rendre compte que l’intelligence de l’émotion et de la relation est aussi importante, voir plus, pour la réussite de la vie. Ce n’est donc pas vraiment une régression, mais une tentative d’avancée. On a reculé, mais c’est sans doute pour mieux sauter. Et puis si on y regarde de plus près, bien sur que les grecs avaient une conception très unie du couple, et il y avait une vraie parité entre les hommes et les femmes, mais ce n’était vrai que pour les divinités, pas dans la société. Par exemple, le culte sans réserve des dieux à Aphrodite n’empêchait pas les femmes de la société grecques d’être soumises. En fait, la société n’arrivait pas encore à imiter les couples divins.

Et nous, on y arrive ou pas ?
En tout cas on s’y essaye. Il n’y a qu’à regarder n’importe quel magazine féminin, pour se rendre compte à quel point cette recherche de l’amour –en tant qu’éros- est cruciale. Ils ne parlent tous que de ça. La volonté de revenir à un éros aussi important que le logos est bien réelle. C’est une mutation de la conscience collective, cette focalisation sur les problèmes des couples. Et comme toutes les mutations, on peut penser que ca va rater, mais ça peut aussi nous rendre plus sages.

Vous concluez le livre en citant le « Connais-toi toi-même » inscrit sur le Temple de Delphe. Après 250 pages de réflexion, on ne peut pas s’empêcher de se dire « donc c’était que ça »…
Il s’agit juste de ça, de se connaître soi même. Ca n’a pas l’air sorcier, mais ça prend la vie. C’est le but des psychanalyses, toutes écoles confondues, et de toutes les philosophies du monde, d’Orient et d’Occident, depuis la nuit des temps. Sachant que la psychanalyse nous apporte en plus ce qui nous est inconscient, nous ouvrant aux profondeurs de notre psyché. N’oublions pas que cette sagesse a quand même un intérêt pragmatique, elle est sensée rendre heureux, et faire que les gens vivent paisiblement les uns avec les autres. Mais se connaître soi même, ce n’est pas connaître son petit Moi et sa propre personnalité : La phrase exacte est « connais-toi toi-même, et tu connaîtras l’univers et les dieux ». On a tendance à en oublier la fin, elle est pourtant capitale. Il ne s’agit pas de faire indéfiniment le tour de son nombril bien au contraire. C’est pour ça que ça prend la vie.

Vous évoquez, à propos de cette connaissance de soi, la présence d’un couple intérieur, féminin et de masculin, en chacun de nous, et qui est essentiel dans les relations de couple « extérieur ».
Bien sur. Se connaître soi-même, c’est découvrir sa bisexualité fondamentale. Le côté féminin des hommes par exemple, souvent incarné par leur muse, leur sorcière ou ce que vous voulez, est plutôt connu. Mais de notre côté, nous, pauvre femmes que nous sommes, on ne nous dit pas que nous avons un côté masculin, que j’appelle pour ma part le « génie ». Du coup, il faut le chercher, ce génie, parce qu’une fois découvert, il nous aide à nous connaître, et donc à connaître l’autre. Plus on connaît cette facette de nous, ce couple intérieur, plus nos couples extérieurs sont sains. Que ce soient les couples que l’on forme avec nos amoureux, avec nos enfants, avec notre boss ou même nos amis. Se connaître soi même, finalement, c’est un travail de tissage entre les couples intérieurs et les couples extérieurs.

Et comment réussir ce « mariage » intérieur ?
Toutes les voies de sagesse, d’Orient et d’Occident, ont proposé des solutions pour arriver à cette connaissance de soi. Il y a les philosophies en général, les religions aussi, avec des moments de réussite et des moments d’échec, et la psychanalyse, bien sûr.

Justement, vous traitez plus de la relation du couple avec la psychanalyse que du couple en lui-même. Votre livre, qui a pour titre « L’aventure du couple aujourd’hui », aurait presque pu s’appeler « La psychanalyse et le couple ». Autrement dit, vous prêchez un peu pour votre paroisse
Je vais vous répondre franchement : Tout analyste ayant été lui aussi analysé avant d’être à sa place, je suis aussi passée par cette étape. Et ce que j’ai pu constater, des deux côtés du bureau, c’est que ça éclaircissait considérablement les choses. Avec la psychanalyse, vous cessez de vivre dans un brouillard d’émotions et d’affect, en vous disant « il a fait ci, il a fait ça, il me dit que, il ne me dit pas que, si il m’avait dit que, il aurait du me dire que… » etc. C’est comme si vous nettoyiez les carreaux : vous nettoyez les carreaux de votre enfance, vous récurez tout ce qui est resté bouché et finalement la lumière commence à rentrer. Et passer du brouillard à la lumière, ça simplifie quand même beaucoup les relations. La psychanalyse a une influence « clarifiante » sur le couple. Cela dit je ne considère pas non plus que l’analyse soit la seule solution ou une panacée universelle.

Un rôle « clarifiant » dans le couple donc. On a pourtant tendance à penser que la psychanalyse s’occupe d’abord des désirs individuels. Ne pousse-t-elle pas par conséquent à la solitude ? A l’autonomie ?
C’est une question de temps. En général il y a un temps de grande intériorisation, ou introversion. On pourrait dire que c’est une sorte d’intubation, pendant laquelle on est en train de nettoyer les carreaux. On est unifié, mais il ne s’agit pas d’individualisme pour autant. Encore une fois, on n’est pas branché sur son nombril. Dans un second temps, l’analyse dissout les problèmes. Les carreaux sont propres, la lumière rentre et en principe, on s’entend beaucoup mieux avec le genre humain.

Autre risque de la psychanalyse, la dépendance de l’analysant à son analyse, qui n’est peut-être pas bon signe dans un couple…
Ca existe, et si c’est le cas, l’analyse est mauvaise et le thérapeute responsable. Mais il y a en effet un risque de dépendance, une « pathologie de la thérapie ». On voit des gens devenir « addict », au même titre qu’au chocolat, à la cigarette etc. Ils en font cinq, ils passent de l’une à l’autre, ils ne peuvent plus s’empêcher d’être dans un état d’analysant perpétuel. J’ai rencontré un jour un type qui était sur commande, c’était pathétique. Il pleurait comme un automate, c’était bidon. Il était « addict », et il venait faire son show. Encore une fois, la thérapie n’est pas une panacée. Il y a de mauvais thérapeutes, pas suffisamment formés, souffrant par exemple de sentiment paternel ou maternel excessif envers leur analysant, et dans ce cas là, personne ne sort de là en très bonne forme…L’analyse est un exercice dangereux.

Marine de Tilly.

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