mercredi 1 avril 2009

S. Veronesi pour Transfuge, 10/2008


Le sens de la famille

Chaos calme, de Sandro Veronesi, Grasset, 455 p, 21,90€.

Il a la tête de l’emploi. Tellement.
Avec ses cheveux épais et bouclés, ce regard immense qui fixe autant qu’il frise, ces bracelets plein le poignet gauche et un tatouage à l’intérieur du droit ; avec cette cicatrice qu’une barbe de trois jours met en valeur et ces mains qui en disent plus long que toutes les paroles du monde, rien à dire, Sandro Veronesi est rital et il le reste. Originaire de Prato, une petite ville du nord de Florence, le jeune étudiant en architecture n’était pas vraiment destiné à l’écriture. Après avoir soutenu une thèse sur Victor Hugo et l’architecture –« On connait mal cette facette du grand poète, mais Hugo a passé 35 ans de sa vie à travailler autour des monuments. C’est lui qui a crée la conscience de la construction moderne »-, Veronesi quitte sa province, « bien décidé à empoigner la vie ». Griffes aux genoux et rêves plein la tête, il débarque à Rome, « le seul endroit où l’on puisse aller sans richesse ». Jusqu’ici « rien d’original ou d’exceptionnel, ajoute-t-il, j’avais juste besoin de savoir que j’étais capable d’écrire ». Dans la ville aux sept collines, il est hébergé par son ami Vincenzo Cerami, scénariste –entre autre- de La vita e bella et de Pinocchio, et surtout élève de Pasolini : « Pendant cette période bénie, j’avais l’impression d’habiter dans un musée à la mémoire de Pasolini. J’ai découvert les contes de Canterburry dans son propre exemplaire, j’écoutais des disques de la Callas dédicacés de sa main, bref, c’est comme si j’avais vécu avec lui. » Plein d’admiration pour le grand réalisateur italien, il affirme avoir « rencontré son talent, sa force, à titre posthume ». Sans un sous en poche, Veronesi est alors, et de loin, le plus riche, « et le plus chanceux » insiste-t-il, des scribouillards de Rome. Car en plus de côtoyer les poètes disparus, il ne fait pas l’impasse sur les artistes vivants, et pas des moindres. Tous les matins, le jeune premier se prend un petit noir au comptoir d’en bas. Bien sûr, il a repéré que de l’autre côté du zinc, Nanni Moretti s’y arrêtait, lui aussi, quotidiennement. Mais il n’ose pas. Trop timide, impressionné. « On habitait le même quartier et je le voyais au bar. Il avait compris que j’étais là grâce à Vincenzo car tous les deux étaient amis. En fait, on s’épiait l’un et l’autre sans jamais faire le pas. Et Vincenzo finit par nous présenter, mais en réalité, nous nous connaissions déjà ». Vingt ans d’amitié plus tard, c’est Nanni Moretti qui interprète le rôle du héros de Cahos Calme, dans l’adaptation du best-seller à l’écran. Là-dessus encore, Veronesi, modeste, évoque la fortune. « Je cherchais un comédien pour interpréter Pietro, mais n’aurai jamais imaginé que Nanni vienne frapper à ma porte. Je n’aurai jamais osé le déranger, lui qui possède sa propre maison de production, qui est très occupé et tant demandé. C’est lui qui est venu. » Le génie de la lampe n’aurait pas mieux fait. Un vrai conte de fée. De la chance ? Laissons à Veronesi le bénéfice du doute. De toute façon dans ces métiers, ne pas avoir de chance est une faute professionnelle. Mais du talent, de l’audace et du travail, bien d’avantage. Déjà, dans Les Vagualâmes (Robert Laffont, 1993), premier ouvrage de l’auteur traduit en français qui traitait de l’attirance du héros envers sa demi-soeur, Veronesi avait été remarqué par sa liberté de ton, son ironie désinvolte et son goût de la transgression. Puis vint La Force du passé (Plon, 2002), émouvante fresque impressionniste de l’Italie contemporaine, tout de même traduit dans plus de 15 langues. Mais c’est avec Chaos calme que vient la consécration. Prix Strega (équivalent du Goncourt en Italie) en 2006, « l’extraordinaire qualité de l’ouvrage, émouvant et magistralement tissé » selon les dires du jury, vient d’être récompensée par le prix Méditerranée Etranger 2008. C’est l’histoire de Pietro Paladini : marié à Lara, père d’une fille de dix ans, Claudia, dirigeant d’une grosse société de l’audiovisuel. Un homme sans surprise au destin tout tracé. Jusqu’au jour où, au moment où il sauve par hasard une femme de la noyade, Lara s’éteint. Une vie contre une autre, comme un sale coup du destin. A l’épreuve du deuil, Pietro choisit le calme extérieur comme ultime réponse à son chaos intérieur. Pendant trois mois, il décide de rester devant l’école de Clara, à l’attendre, à attendre la gifle de la douleur. « Je voulais écrire sur un type standard qui subit un traumatisme, et qui décide de s’arrêter pour tenter de se soigner. C’est ça, le thème de ce roman, « prendre le risque de tout arrêter », et en même temps d’échouer ». S’il a mis 6 ans à écrire Chaos calme, c’est précisément parce que, lui aussi, il s’est arrêté. Veronesi n’est pas de ces auteurs qui ont besoin de souffrir ou de vivre mal pour écrire bien, au contraire : « Carmelo Bene, -écrivain, acteur, réalisateur et metteur en scène génial-, disait en parlant des comédiens que « ce sont les amateurs qui jouent de mémoire, alors que les professionnels lisent ». Pour les écrivains, je pense que c’est la même chose. Quand ils souffrent, les amateurs écrivent, alors que les professionnels se taisent ». Avec cette façon de rendre hommage à ses mentors, morts ou vifs, ou de les faire parler à sa place, Veronesi aimerait nous faire croire qu’il n’en est que le pâle imitateur, le sujet maladroit. Quand on lui pose la question de la fin, magistrale et pourtant si singulière, de Chaos calme, une fois encore il s’incline : « Je vais vous faire une confession. En convoquant tous les personnages, dans une sorte de tourbillon autour de Pietro, j’ai emprunté du talent à Fellini. C’est une image qu’il utilisait souvent. C’est un modèle magnifique dont je me suis servi ». Relisez la fin de Chaos calme. Peut-être est-elle un peu « Fellinienne », quoi qu’au fond, ca ne veuille pas dire grand chose. Ce qui marque en revanche, c’est cette plume rapide, rebondissante, qui semble s’être retenue durant 350 pages pour mieux se déchaîner en bouquet, tout comme le personnage, qui lui aussi décide d’en finir avec le deuil, du moins de l’affronter en face, enfin, et devant tout le monde. L’élève Veronesi, s’il en est vraiment un, n’a rien à envier à ses maîtres, bien au contraire. Il fait partie de cette race de gens simples, aussi humbles que doués, il est de ces artistes qui racontent des histoires sans en faire, bref, une espèce en voie de disparition. Surtout chez les auteurs. Surtout quand ils sont à succès.

A voir: Caos Calmo, film italien réalisé par Antonio Luigi Grimaldi, avec Nanni Moretti, Isabella Ferrari, Valeria Golino, et Charles Berling, Hyppolite Girardot et Denis Podalydès en troisièmes rôles.

Encadré : Veronesi en 6 dates :
1959 : Naissance Sandro Veronesi à Prato, au nord de Florence.
1985 : Il est diplômé en architecture à l’université de Florence, soutient une thèse sur Victor Hugo et la restauration moderne, un travail qu’il projette de publier l’année prochaine en Italie.
1993 : Sortie des Vagualâmes en français chez Robert Lafont.
2002 : La Force du passé est publié chez Plon, prix Campiello à sa sortie en Italie.
2005 : Sortie et succès immédiat de Caos calmo en Italie. Prix Strega en 2006 et Méditerranée en 2008 succédant à ses compatriotes Pietro Citati, Umberto Eco, Antonio Tabucci, Claudio Magris, mais également à l'écrivain turc Orhan Pamuk (2006). L’adaptation au cinéma est sortie en février 2008 en Italie, et à l’automne en France.
2007 : Sortie en Italie de Brucia troia, son dernier roman, pas encore traduit en français.


Marine de Tilly.

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