mercredi 1 avril 2009

P. Merot pour Transfuge, 11/2008


"J'aimerai que mes livres aident à vivre, à croire ou à espérer"

Arkansas, de Pierre Mérot, Robert Laffont, 353 p., 20€.

Pierre Mérot raffole des personnages poétiques à l’accomplissement éthylique certain. Probablement parce que les gens les plus désespérés sont souvent les plus drôles, leurs destins dilatés l’inspirent, alors il en fait des romans. Ajoutez à cela une langue singulière, à la fois grave et facétieuse, et vous aurez Mammifères, son premier succès critique et public, Prix de Flore 2003, vendu à plus de 35 000 exemplaires et traduit dans 12 langues. Cette année, Mérot revient avec Arkansas, un roman baroque sur la transmission littéraire et artistique à travers trois personnages si proches de la réalité qu’ils ne peuvent être qu’inventés… Kurtz, le « maître », qui ressemble beaucoup à Michel Houellebecq, Traum, « l’élève », avec qui Merot a un sacré air de famille, et Baragouin, le narrateur complice. François Court dit « Kurtz », est un auteur désenchanté « à la saloperie de talent », un peu imposteur sur les bords et qui s’est vite entiché du « star system ». Ses livres brûlants, son allure dévergondée, son insolence nihiliste et sa façon blasée de foutre de tout et de tout le monde ont fait de lui une sorte de bête de foire, « le porte-parole de la misère sexuelle occidentale ». Traum, de son côté, est un écrivain buveur aussi doué que raté. En se confiant Baragouin, il se souvient de son vieil ami Kurtz, de son ascension fulgurante et de son exil en Espagne, dans une propriété extravagante, « un phalanstère, une colonie sexuelle, une république sadienne » : Arkansas. S’attaquer plus ou moins directement à la figure, presque statuaire, de Houellebecq ; le pari était ambitieux. Arkansas l’est aussi, et Mérot sais de qui il parle car cette histoire, c’est peut-être un peu la sienne. Mais au fond, que Mérot règle ou pas ses comptes avec celui qui fut son ami ; qu’il l’assume un peu, beaucoup ou pas du tout importe peu. Car il a su y ajouter juste ce qu’il fallait de distance, de dextérité narrative et de savoir-faire romanesque pour en faire un texte brillant, son meilleur roman.

Quelle est la genèse de ce livre ? Vous vouliez écrire sur Houellebecq ou c’est votre personnage qui vous y a mené ?
Déjà je vais rectifier tout de suite le tir, Arkansas n’est pas un livre « sur » Houellebecq. D’ailleurs si les lecteurs s’attendent à y trouver des histoires, des scoops sur l’auteur des Particules Elémentaires, ils risquent d’être déçus. Arkansas, c’est d’abord un roman, et comme dans tous les romans, des personnages peuvent s’inspirer de personnes réelles. Mais pour revenir à votre question, l’idée de ce livre m’est venue de deux observations. La première est plutôt une question, à savoir « comment on termine quand on est totalement avalé, dépassé par le système ? ». J’étais sur une plage, en plein mois d’août, au moment où il y avait tout cet abattage médiatique autour du lancement du roman de Michel, La possibilité d’une île. Toute cette folie m’a mis un peu mal à l’aise, mais elle était romanesque. Du coup, un peu comme dans les livres de Conrad, où il y a des personnages complètement fous et mégalo, j’ai crée celui de Krutz – le nom vient d’ailleurs du héros d’Au cœur des ténèbres-. Alors oui, Kurtz s’inspire beaucoup de Houellebecq, mais je crois qu’il y a autant de lui que de moi dans ce personnage. Ma deuxième observation, plus concrète, m’en venue du succès très mitigé de L’Irréaliste, mon dernier livre. Ca ne m’a ni surpris ni déprimé, mais ça m’a quand même donné un coup de talon et je me suis vite plongé dans l’écriture d’Arkansas. Maintenant pour être franc, je n’ai jamais vraiment d’idée claire quand je me mets à écrire un livre. Je travaille au fil de la plume, avec une vague idée directrice. Je crois que ce qui compte, c’est chaque phrase, une à une.

Avez-vous envoyé votre livre à Houellebecq ?
Oui, bien sûr. Mais mes relations avec lui datent quand même un peu… On a été copains, on a même été proches, mais ça fait longtemps que ce n’est plus le cas. On a à nouveau eu un petit échange de mails à propos de ce livre parce que son agent littéraire s’inquiétait de ce qu’il aurait pu contenir de critique. La dernière réponse que j’ai eue, une fois le texte lu, n’était pas très fameuse. Michel n’était pas content du tout. En même temps c’est vrai qu’il y a un peu de caricature là dedans. Surtout dans la partie, alors là volontairement grossie, sur la secte. La dessus je l’avoue, je me suis bien amusé, et c’était peut-être un peu facile. Mais n’allez pas croire qu’Arkansas, cette résidence grotesque, a réellement existé ! Non, vous imaginez vraiment Houellebecq en grand gourou de cette cour de résidents temporaires rabelaisiens, sorte de bétail lobotomisé qui mange des « portions de camembert Carrefour et du velouté Liebig dans des assiettes en plastic » à heure fixe avant d’aller aux « cours de créativité » ou d’écriture, sous un dôme « à 300 000 euros » abritant les œuvres complètes de Kurtz (dans les trente cinq langues les plus usuelles), et qui finit, le soir, en orgie, les uns sur et/ou dans les autres ; tout cela au beau milieu d’un désert castillan ? C’est évidemment de la pure fiction, presque du délire. C’est comme mon titre. Arkansas. Il n’a pas vraiment d’explication, de logique ou de message caché ; aucune influence américaine non plus. Je voulais simplement entrer tout de suite dans l’étrangeté, donner le ton du livre.

A en croire Traum et sa relation avec Kurtz, vous n’êtes plus du tout proche de Houellebecq. Hommage ou vengeance ?
On ne s’est pas spécialement brouillés. Mais vous savez, Michel est quelqu’un qui se sépare de beaucoup de gens. Par exemple il était proche de Dominique Noguez, qui n’a plus non plus de nouvelles de lui, alors qu’ils étaient eux aussi très proches. Maintenant encore une fois je crois qu’il faut se méfier et ne pas faire d’assimilation systématique entre cette figure romanesque et Houellebecq. De toute façon, le personnage central, c’est Traum, et peut-être un peu Baragouin, son double. A côté il y a Kurtz, bien sûr, mais il n’est que la face obscure du narrateur. J’ai tenté de mettre en scène leur amitié, ou plutôt les relents de leur amitié déçue.

Une amitié déçue, et ambigüe aussi…
Il y a entre ces deux personnages à la fois de l’affection, c’est sûr, du respect, de l’admiration, et puis aussi une sorte de dépit. En plus d’un jugement assez mitigé de Traum quant au parcours de Kurtz. Mais c’est aussi -et j’allais dire surtout- le système qui est remis en cause. Ce système qui a fait de Kurtz, trop vite et trop fort, la coqueluche des médias, une sorte de super star de pacotille à l’égo plus grand que lui. Autrement dit quelqu’un ou plutôt quelque chose de disproportionné par rapport à ce qu’on attend d’un écrivain.

Et qu’attend-on, au juste, d’un écrivain ?
Le strict inverse de la vision sombre et sans salut du monde et des gens de Kurtz. Au début d’Arkansas, il dit : « Je suis lu par les classes moyennes. Mon style doit donc être moyen. Le monde est irrécupérable. Je n’ai aucun amour pour lui. C’est pourquoi mon style est bas et sans espoir ». A travers la voix de Traum, je prends le contre pied, et je lui réponds qu’écrire, c’est transmettre, et si possible, quelque chose de positif.

Transmettre, donc, en littérature comme dans tous les domaines de création.
Bien sûr. Prenez la figure de Bach par exemple: elle apparaît des les premières pages de mon livre, et c’est encore avec elle que le livre s’achève. Ce n’est pas anodin. Pour moi, Bach est le symbole par excellence d’une transmission certes un peu passéiste mais très humaniste, humble. Finalement, Bach, c’est quelqu’un qui m’aide à vivre. Tout simplement. J’aimerai qu’il se passe un peu la même chose avec mes livres, qu’ils aident à vivre, à croire ou à espérer en une époque qui n’est quand même pas terrible. Alors que pour Kurtz, c’est tout l’inverse : peut-être qu’il a très bien analysé le monde, mais il en propose une vision extrêmement sombre, sans salut, qui ne fera jamais avancer personne. Il méprise jusqu’au poisson qu’il déguste, un soir, au resautant : « Il mangeait son poisson bizarrement. Il l’avalait en gros morceaux, sans le découper. Il le soulevait vers sa bouche avec lassitude, avec une espèce de voracité lente et dégoûtée, et presque du mépris, si cela est possible. Il méprisait le poisson et le monde entier ». Transmettre, c’est tout le contraire de ce nihilisme glacial, c’est quand même donner ou écrire ce qu’il restera de nous. Si on ne transmet pas, il ne reste plus rien.

Et vous, qui vous a transmis quoi ?
Comme tous les gens qui écrivent, je lis beaucoup. Pour moi, la « transmission » s’est faite par Conrad, Boulgakov ou plus récemment Bret Easton Ellis. Je crois que les influences changent forcément en cours de route. J’ai commencé avec Chateaubriand, Gracq ou Modiano, avec Le Maître et Marguerite, une vraie rencontre. Aujourd’hui, et plus particulièrement pour un chapitre d’Arkansas, j’en suis arrivé à American Psycho. Mais le dernier grand choc que j’ai eu, je crois que c’était en lisant une nouvelle de Tchekhov. Ce n’est pas très « jeune » ! Mais pour ce qui est de la littérature contemporaine, j’aime beaucoup Régis Jauffret.
Marine de Tilly.

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