mercredi 1 avril 2009

P. Jeanada pour Transfuge, 01/2009


Philippe Jeanada, l’écriture par accident.

Plage de Manaccora, 16h30, par Philippe Jeanada, Grasset, 288 p., 17,90 €.

Cela faisait quatre ans qu’il ne lui était rien arrivé. Quatre ans qu’il n’avait rien écrit, donc. Car pour Philippe Jeanada, l’inspiration n’est pas vraiment une histoire de travail, de rêverie ou de concentration ; mais plutôt d’expérience. Fort heureusement, alors qu’il déprimait de ne rien produire de valable sur une plage de l’adriatique, un « petit » incendie qui faillit au passage lui être mortel le sortit de sa torpeur. Enfin de quoi faire un roman, se dit-il intérieurement, à peine revenu de l’enfer. Enfin de quoi retrouver la plume malicieuse et l’humour carnassier de Jeanada, se dit-on aujourd’hui, avec Plage de Manaccora, 16h30 entre les mains. L’histoire, donc, c’est celle d’un incendie. Comme souvent chez Jeanada, il est question d’un quadra traine savate désenchanté –ici, Voltaire- qui se demande comment devenir chevalier, et qui finit, quelques centaines de questions et de parenthèses plus loin, par faire les mauvais choix. Ca commence bien, et ça finit bien. Mais ce que l’on préfère, c’est entre les deux, quand tout tourne mal, l’histoire, les humains, les âmes, quand même la lâcheté et la vanité ne sont d’aucun secours, quand tout est foutu et que le désespoir, surtout le désespoir, est ironique et drôle. Philippe Jeanada est écrivain et il fait très bien son métier. Mais quand, par chance, il lui arrive quelque chose d’accidentel, de singulier, d’exceptionnel, alors il devient romancier, lui aussi accidentel, singulier, exceptionnel.

Vous vous êtes mis à écrire assez tard. Comment et pourquoi y êtes-vous arrivé ?
Jusqu’à… assez tard, je ne faisais rien. Quelques études de maths, et des petits buolots, par exemple j’ai été « animatrice de minitel » pour des programmes… de cul. Ca, ça m’a beaucoup amusé, et ça m’a fait prendre conscience de l’effet que l’on pouvait faire aux gens, juste avec des mots. Mais ce qui m’a vraiment mené à l’écriture, c’est une sorte de crise que j’ai eue, à 24 ans : pendant un an, je me suis enfermé chez moi, sans télévision sans téléphone, je n’ai adressé la parole à personne. Au début, c’était marrant, mais au bout de deux ou trois mois j’ai commencé à parler tout seul, je perdais la boule, et je me suis mis à écrire pour que des choses sortent de moi, pour ne pas imploser. Quand je suis sorti de cette année de dingue, j’ai donné mes textes à un ami, et de fil en aiguille, ils ont été publiés dans un journal qui s’appelait L’autre journal. Depuis, dès que j’arrête d’écrire, j’ai l impression de faire n’importe quoi, de rien faire du tout, de traîner dans les bars.
Pourtant dans ce roman, Voltaire, votre alter-héros, pense à tout sauf à ses livres au moment de mourir… Est-ce un aveu sur la place de la littérature dans votre vie?
C’est vrai que le lendemain de l’incendie, quand j’ai repassé le film dans ma tête, je me suis aperçu qu’au moment que je croyais être le dernier, je n’avais pas du tout pensé à la littérature. Je me suis senti un peu coupable, j’ai eu honte, je me suis demandé si je n’étais pas en fait un gros tocard qui pensait que la littérature était toute sa vie, alors qu’elle n’était qu’accessoire dans ces moments qui ne mentent pas. Aujourd’hui je sais qu’elle est un accessoire, important certes, mais pas essentiel. C’est comme un vêtement sur la vie. Maintenant que la littérature soit essentielle ou accessoire dans ma vie, franchement je m’en fous. J’ai envie d’écrire et je continuerai tant que des démons ne m’en empêcheront pas.
Quelles ont été vos influences littéraires ? Aujourd’hui, qu’est-ce que vous aimez, lisez ?
Depuis deux ou trois ans, je suis dans ma période « policiers américains des années 40/50 ». C’est parti d’une émission consacrée aux films noirs américains des années 40. J’ai découvert tout un univers que je ne soupçonnais pas, je suis complètement tombé dedans. Depuis je ne lis plus que ça, David Goodis, Jim Thompson, je ne m’en lasse pas. Sinon, il y a beaucoup d’auteurs que j’aime, Proust, Céline, Cervantes…., comme tout le monde. Mais s’il n’y en a qu’un à citer, un seul que j’admire vraiment, c’est Bukowski.
Pas très étonnant, à vous lire…
Certains journalistes ont parfois fait le rapprochement, et ça m’a énormément plu, touché. Mais malheureusement pour moi, ce que j’écris n’a rien à voir avec ce que lui a écrit… Je ne sais pas comment il fait. Il a quelque chose que je n’arrive pas à comprendre, qui me fascine complètement, qui me dépasse, et dont il m’est impossible de vous parler. Pour moi, Bukowski, c’est un extra terrestre, un monstre, et si je devais changer de père, je prendrai Bukowski.
Je crois que vous êtes plus drôle, plus malicieux que Bukowski…
J’ai envie d’être drôle parce que sinon, il ne reste que la mort. Dans la vie je ne suis pas spécialement drôle, mais j’essais de faire en sorte que mes personnages le soient, en se détachant de la situation catastrophique dans laquelle ils sont. Car dès lors que l’on prend un peu de recul, même dans les situations les plus dramatiques, on rit. On rit vraiment. J’étais réellement dans cet incendie et j’ai vraiment cru qu’on allait tous y passer. Mais je me souviens d’un instant où tout ça m’a fait marrer, alors que je vivais le moment le plus sinistre de l’histoire.
En revanche, vous partagez avec lui le goût de l’ironie, des personnages et des situations pathétiques…
Ce sont des choses que je vis, des personnes que je connais, que je rencontre, et des situations qui me sont arrivées. Et ces choses et ces gens là m’intéressent plus que les autres. Donc j’en fais des livres. Et deuxièmement, je trouve qu’ils sont assez romanesque, ces gens et ces moments, non ? Donc j’en fais des romans. Alors oui, tout ce petit monde est au bout du rouleau, mais c’est ça qui est bon. De toute façon je serai totalement incapable d’écrire sur la facilité de vivre. Et puis si je préfère me taper un incendie de forêt et être à deux doigts d’y laisser la peau plutôt que de passer une semaine à rien faire dans un 5 étoiles, c’est parce que c’est quand même bien plus amusant, et intéressant à raconter.
Vous n’avez jamais songé à inventer ? Et s’il ne vous arrivait plus « rien », il n’y aurait plus de livres ?
Je suis incapable de partir de rien, dans le vide, de me mettre à écrire des histoires qui me sont totalement extérieures. Mais je n’ai pas non plus envie de raconter ma vie de tous les jours, dont tout le monde se fout. Pour Manaccora, dès le lendemain de l’incendie, j’étais très content d’avoir vécu ça, d’en être sorti, et de pouvoir commencer, enfin, un nouveau texte. Ca faisait quand même presque cinq ans que j’avais rien fait. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé, mais il n’y a rien à faire, les fictions pures, c’est pas mon truc. Alors je préfère manipuler un peu mon histoire, quitte à attendre qu’elle soit un peu plus intéressante que d’ordinaire.
Donc on vous souhaite encore quelques petites catastrophes…, puisqu’elles sont chez vous synonymes de bons romans.
Oui c’est ça. Pas de choses graves, comme un accident mortel, par ce que là je ne pourrai plus rien raconter, mais des bonnes petites catastrophes « à roman ».
Marine de Tilly.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire