mercredi 1 avril 2009

C. Montcouquiol pour Le Point, 10/2008


La mort au corps

Le sens de la marche, d’Alain Montcouquiol, Verdier, 116 p., 9,80€.

Il y a des histoires qui font de grands livres, mais qui raccourcissent, empêchent la vie de ceux qui les écrivent. A mesure que l’écrivain écrit, souvent, l’homme s’éteint. Peu de gens ont ce sens éblouissant de la mort, cette capacité de s’entraîner à mourir, tout en respirant. Certains artistes l’ont, et tous les toreros. Alain Montcouquiol est ou a été les deux. Longtemps, il a dévisagée la mort : dans la lumière, quand il défiait lui-même les toros, et puis dans l’ombre, quand il accompagnait Christian, son génie de petit frère, dans les arènes du monde entier. Aujourd’hui, Christian est mort. Une sale après midi de Pentecôte à Nîmes, les cornes d’un Miura de 540 kg, cruelles, ont inexplicablement épargné le « Nimeno ». Christian se retrouve paralysé à vie, ou plutôt à mort. Quelques mois plus tard, il se suicide, s’offrant ce que le Miura n’avait pas été capable de lui donner, regardant en face cette mort qu’il avait si souvent convoqué. Ce jour là, Alain sent passer sa propre mort à travers celle de son frère. Depuis, plutôt que de vivre, il écrit cette tragédie, encore et encore, pour ne pas la laisser s’échapper. C’est un choix, une folie, sublime et dérisoire, comme une faena. D’aucun diront qu’Alain Montcouquiol nage en pleine dépression, qu’à force de remuer le passé il s’interdit de faire le deuil de Christian, qu’il lutte désespérément contre « le sens de la marche ». Mais sans fêlure, la lumière ne passe pas. C’est elle qui éclaire les mots de Montcouquiol, comme elle éclaira jadis ceux de Lorca au lendemain de la mort d’Ignacio Sanchez Meijas, son amour de toujours. « C’est du torero que jaillissent l’ombre et la lumière », écrivait-il. De la même façon, c’est de son inconsolable déchirure que jaillissent les plus belles pages d’Alain Montcouquiol. Faut-il le regretter ? L’aficion est un asile, un exil, et l’on n’a jamais vu de fous ou d’apatrides heureux.
Marine de Tilly.

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