mercredi 1 avril 2009

L. Sepulveda pour Le Point, 01/2009


Jules Verne con carne

La lampe d’Aladino et autres histoires pour vaincre l’oubli, de Luis Sepulveda, trad. de l’espagnol par Bertille Hausberg, 133 p., 16€.

Luis Sepulveda est peut-être un peu parano, mais au fond, on lui en sait gré. Car quelle que soit la raison saugrenue qui l’a poussé à dresser, dans son dernier livre, le « bilan » anticipé de sa vie – le bougre n’a pas même soixante ans-, cela reste pour nous, lecteurs amoureux de sa plume magique et de ses héros inspirés, une belle occasion de replonger dans son univers sans frontière. Car il en a fait, du chemin, l’étudiant en lettres militant aux Jeunesses communistes et condamné à 28 ans de prison par le régime de Pinochet –il n’en fera finalement que deux, grâce au soutien d’Amnesty International. Il en a vu, du pays, des vies et des femmes, l’écrivain voyageur, sorte de Phileas Fogg andin voguant des quartiers bouillants de Rio où « il pleut des confettis » les jours de carnaval aux rues sombres et blanches d’Hambourg ; des confins de la cordillère chilienne, péruvienne ou bolivienne à l’Alexandrie de Kavafis et de Naghib Mahfuz. Toutes ces odyssées, Sepulveda nous les conte en poésie, en humour et en fantaisie dans les douze nouvelles qui composent La lampe d’Aladino et autres histoires pour vaincre l’oubli. A la façon de son maître Jules Verne, il s’attache à disperser, à chaque coin de page, ce qu’il appelle les « composantes magiques de la vie » ; autant dire la grâce, la rêverie. Mais au-delà de ces voyages extraordinaires, c’est sans doute la géographie humaine que Sepulveda parcourt le mieux, à travers une constellation de personnages, simples et dignes : un marin malheureux à Hambourg, qui partage sa bière avec un vieux soulard, le mystérieux capitaine Valdemar do Alenteixo, avec ses airs de Nemo portugais, ou cette femme, croisée sur un balcon une fin d’après-midi, « l’une des dernières grecques d’Alexandrie » dit-elle, ce fameux Aladino Garib, qui donne son nom au recueil, commerçant palestinien débarqué en pleine Patagonie, ou enfin l’inoubliable Vieux qui lisait des romans d’amour, qui refait surface dans la première nouvelle… Cela fait beaucoup de monde, tout autour du monde. La preuve que le voyage est loin d’être terminé, et que Luis Sepulveda en a encore sous la plume.

Marine de Tilly.

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