mercredi 1 avril 2009

S. Bramly pour Transfuge, 12/2008



Viser juste

Le premier principe, Le deuxième principe, de Serge Bramly, JC Lattès, 615 p., 22€.

Il s’en fout, Serge Bramly. Il est libre. Avec ses yeux qui rient même quand sa bouche évoque des sujets graves, avec cette façon de tourner en dérision tout ce qu’il ne sait pas ou n’a pas su faire, Serge Bramly étonne, détonne. Tout dans son parcours semble, à l’écouter, être arrivé par hasard, par opportunité, ou par chance. Pourtant, aucun de ces trois éléments n’ont leur place dans son dernier roman, Le premier principe, le second principe, un livre au contraire extrêmement écrit, soigné et passionné sur l’histoire des services secrets français dans les années 80 ; un « romenquête » aurait dit BHL, mêlant faits historiques, personnages réels et hypothèses romanesques ; un complot parfait en somme, plein de toute une vie de travail, d’inspirations et de curiosités.

Après avoir quitté sa Tunisie natale en même temps que tous les juifs d’Afrique du Nord, c'est-à-dire en 1961, Bramly fait ses études à Paris, et passe son diplôme de Lettres modernes à Nanterre. Nous somme en 68, et pendant que « tout le monde était raide défoncé du matin au soir, dans une sorte d’euphorie généralisée », Bramly, un peu hippysant sur les bords, demande à être envoyé en Inde comme professeur de français. « Je n’en pouvais plus de la France, de cette vie absurde, de ces examens qui n’avaient aucun sens. J’avais marqué « Inde » sur mon dossier, on m’a répondu que le Pakistan, c’était pareil, et comme je ne savais même pas où c’était, je suis parti ». Quasiment chacune de ses phrases est ponctuée d’un petit éclat de rire, comme s’il passait son temps à se moquer de lui, comme si le fait de parler de lui l’amusait, comme si, tout simplement, il ne se prenait pas du tout au sérieux. Après le Pakistan, le Brésil : « Quand je suis arrivé au Brésil, je n’avais aucune idée sur rien du tout. Je savais juste que la France des années Pompidou m’emmerdait. Une sorte de supercherie m’a permis de monter un studio photo et de gagner beaucoup d’argent. Et j’en ai gagné suffisamment pour faire ce que je voulais, c'est-à-dire ne rien faire. » L’idée d’un putatif talent en matière de photographie ne semble pas lui avoir ne serait-ce qu’effleuré l’esprit. Mais Passons.
A force de « ne rien faire », Bramly publie quand-même deux ouvrages d’ethnologie, l’un sur les indiens d’Amérique du Nord, l’autre sur les religions afro-brésiliennes. A ce moment là, pour lui, le roman est encore un rêve : « J’avais commencé à l’époque cinq ou six romans, mais ils étaient tous aussi mauvais les uns que les autres ». Ce serait, encore une fois, juste « par coup de bol », que Bramly aurait finalement publié son premier roman, L’itinéraire d’un fou, accepté en une semaine par Flammarion et immédiatement couronné par le Prix del Duca en 1978… « J’étais en reportage à Iquitos, au Pérou. Il y a eu un soir d’orage, très violent, il faisait chaud, je me suis couché dans un état second. A mon réveil, le lendemain matin, je ne sais pas si j’avais rêvé, mais en tout cas j’avais, limpide dans un coin de ma tête, un chapitre entier et le plan d’un roman. C’est incroyable, mais il n’y avait plus qu’à recopier. Ce que j’ai fait. Et quand je relis ce livre aujourd’hui, avec le recul, la partie « dictée » -rires, encore-, dans ma transe comateuse, je la trouve relativement bonne, alors que tout le reste est nettement inférieur…. C’est une histoire de dingue, et vous devez me prendre pour un fou… ». Mais on l’a déjà dit, Serge Bramly s’en fout, car en effet, il doit être fou.
Fou de littérature en tout cas, surtout quand elle est sud-américaine. Carpentier, « l’idéal du romanesque », Cortazar aussi, mais par-dessus tout Borges, « l’idéal de l’écriture ». « Un jour, il fallait que je le vois, j’ai pris mon courage à deux mains, et je l’ai appelé. Il a été charmant. Je l’ai vu une heure le matin et une heure l’après midi pendant huit jours. Cette rencontre, c’est la grande leçon de littérature de ma vie. Par exemple, il m’a conseillé d’« oublier les inventions spectaculaires », de garder les yeux fixés sur l’essentiel, « pour les intrigues c’est la même chose, plus ça sera simple, plus ça sera efficace », de suggérer plutôt que d’imposer, « lorsque vous voulez inspirer la peur, ne prononcez jamais le mot ‘peur’. » En refermant Le premier principe, le second principe, en effet, on constate que l’élève a suivi, et de près, les conseils du maître. Pas de fioritures, pas de flagorneries : une intrigue simple, dense, maîtrisée, que l’on pourrait résumer ainsi : un photographe –dont on ne connaîtra jamais le vrai nom- propriétaire d’une Fiat Uno blanche, traquait une princesse Britannique –Lady Di-, avait pour ami un premier ministre français qui s’est suicidé dans d’étranges circonstance –Bérigovoy-, et un voisin de palier suisse et trafiquant d’arme qui a tout à voir avec la mort de la princesse britannique et du premier ministre français. Tout cela étant observé et rapporté par le narrateur, un analyste de la DGSE amoureux, comme Bramly, de la culture chinoise.
« Agir en totale liberté, sans offenser aucune règle ». Cette phrase de Confucius, Bramly en a fait son totem, son talisman littéraire. Dire vrai, « pour ne pas se foutre de la tête du lecteur ». Comme quoi, Bramly ne se fout pas de tout, finalement. Pour lui, la réalité constitue une trame romanesque comme les autres. Influencé par les séries américaines comme Les Sopranos, West Wing ou même Lost – « Il y a dans ces séries un art, un génie, une liberté de la narration qui a vingt ans d’avance sur la littérature »- autant que par Borges, Bramly nous livre là, de sa propre confession, son roman le plus abouti. Un texte efficace qu’il s’est sans doute « amusé » à écrire, dans le bon sens du terme. Une enquête qui l’a grisé autant qu’elle grise celui qui en lit les premières lignes ; à tel point qu’on se demande, une fois achevé, lequel du livre ou du lecteur a dévoré l’autre. Mais au fond ça aussi, on s’en fout complètement.

Marine de Tilly.

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