mardi 10 mars 2009

S. Azzedine pour Le Point, 07/2008


Une fleur nommée Jbara

Confidences à Allah, de Saphia Azzadine, Léo Scheer, 146 p., 15€.
Saphia Azzedine est sublime. Sublime, jeune, et en 4x3 sur la jaquette de son premier roman, Confidences à Allah, « un témoignage direct, cru, sur l’oppression des femmes, le portrait d’une jeune fille résolue à exister par elle-même ». Mauvaise pioche. A la lecture des premières pages, l’horizon ne s’éclaire pas vraiment. D’emblée, le texte vous agresse, vous enrage, à tel point que l’on jure intérieurement que l’on n’ira pas au bout. Trop cru –on était pourtant prévenus-, trop odieux, fauve, insensé. Jbara, jeune maghrébine aussi perdue que le village qu’elle habite, se fait violer en échange de son yaourt préféré, le Raïbi Jamila : « Chaque fois qu’il termine, j’ai comme du lait tourné qui coule entre mes cuisses. J’ai 16 ans et je ne sais pas qu’on dit du sperme. On est pauvres, chez nous, le lait qui tourne, on connait. Mais je m’en fous. J’ai mon Raïbi Jamila. Ca me fait sourire instantanément. Lui, il s’appelle Miloud, il est marron, il est amer, il me débecte. Un jour, en le suçant, j’ai reniflé le pli de ses couilles et j’ai failli vomir. » Ce n’est peut-être pas ce qui s’appelle « écrire », mais voilà qui vous enfonce durablement au fond de votre fauteuil. Et au fond de vous. Quelques dizaines de pages plus loin, la même Jbara tombe enceinte, et, après avoir été tabassée et rejetée par son père, elle accouche seule au milieu de nulle part : « Je vomis. Je transpire. J’ai des contractions. Il est trois heures du matin. Je me calle par terre contre le trottoir et je pousse. Je pousse. Je pousse. Même les chiens me laissent abandonner mon enfant en silence. Il ou elle crie. Je m’essuie. Je ne regarde pas. Il ou elle crie moins. Je me bouche les oreilles. Je continue de m’en aller. Il ou elle ne crie plus. Je crie ». Fleur arabe réduite en pot pourri, tout ça pour un yaourt à la grenadine. Peut-être qu’il est inutile de raconter la fin de l’histoire. La puto-bergère de 16 ans devient grande, se prostitue, se fait attraper par la police, passe trois ans en cabane. Mais du fond de sa misère, peut-on le croire ?, elle espère toujours en la miséricorde d’Allah. Et elle rend grâce : « Je veux te remercier, Allah, car Tu es le seul à n jamais me contredire. Ca fait du bien d’être écoutée. C’est pour ça que Tu es le plus sage. Merci Allah ». A ce degré d’inhumanité, garder la foi est l’affaire des saints, des martyrs, ou des héroïnes de roman.
Au fond, ce livre est un petit miracle. Car contre toute attente, c’est moins la férocité du quotidien de Jbara –difficile d’être un ange au milieu de l’enfer-, ni celle, parfois déplacée, de l’écriture de Saphia –« Arrêtez de faire « bah » ! Je ne vais pas mettre de la poésie là où il n’y en a pas. Je vous dis que je suis pauvre. La misère, ça pue du cul »- que l’on retient, mais l’amour inconditionnel de l’une, et sans doute de l’autre, pour le seul guide, le soleil, le Très Haut. « Avec Toi à mes côtés, j’ai l’impression d’être moins seule. Et pour une fille comme moi, ça compte vachement. Tu écoutes quand tout le monde braille. Avec Toi, j’ai appris à ne pas gueuler, avec Toi, je parle tout doucement et ça me fait du bien». A nous aussi lecteurs, ça nous fait du bien, de laisser la lumière transpercer la brutalité des âmes qui peuplent ce roman, la colère de l’auteur. Et quand la sincérité prend enfin le pas sur la provocation, on se félicite, finalement, de ne pas s’être arrêtés à la page 12. « Ce qui anime ma foi, conclue Jbara, c’est de t’aimer. T’aimer m’a permis de m’aimer et m’aimer m’a permis d’aimer ». Sans donner de leçon, cette foi là donne envie, et du sens à ces brûlantes confidences.
Marine de Tilly.

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