mardi 10 mars 2009

A. Najjar pour Le Point, 03/2008


Le roman des Phéniciens

Phenicia, d’Alexandre Najjar, Plon, 216 p., 18,90 €.

« Zénon toussa dans son poing et commença son récit (…) Levant l’index, il ajouta : Je te préviens, si ma mémoire me fait défaut, j’aurai recours à mon imagination. Car l’imagination est aussi source de savoir ». Cette leçon, qui fait office d’introduction de Phenicia, n’est pas tombée dans l’oreille sourde de son auteur, Alexandre Najjar. Pour l’auteur du Roman de Beyrouth en effet, écrire l’Histoire, c’est aussi la réinventer. Surtout quand il s’agit de celle, trop sombre, de son Liban natal. Ainsi Zénon, le maître, s’apprête-t-il à enseigner à Apollonios, le disciple, l’histoire des Phéniciens, ce peuple de navigateurs et de commerçants contraints de prendre les armes en -332 pour défendre le symbole même de leur grandeur: la cité de Tyr. Elle avait pourtant résisté aux assauts des Athéniens, des Assyriens, de Nabuchodonosor puis de Darius III, la Phénicie. Son empire était sans frontières, son horizon illimité, son ambition démesurée. « Nous avons sillonné les mers et donné l’alphabet au monde », raconte le philosophe. Mais après la victoire d’Alexandre le Grand sur les Perses, les citées phéniciennes ne purent faire face à la folie expansionniste du nouveau seigneur. Seule Tyr lutta, « avec plus de courage que de prudence », durant 7 mois, contre l’assaut macédonien. En confiant à Apollonios le destin de sa mère Elissa, qui suivit son oncle dans tous les comptoirs phéniciens avant de retrouver Tyr assiégée par les armées sans pitié d’Alexandre, Zénon rend hommage, et justice, à la ville et au combat désespéré de ses ancêtres. «C’est par respect pour ce vaillant peuple, pour tous ceux qui sont morts, que je n’ai jamais renié mes origines. C’est parce que je n’ai pas compris cette volonté de domination d’Alexandre que j’ai prêché l’égalité et la fraternité. » Au moment d’achever son récit –et sa vie-, il conclue : « A mes yeux, nous ne devrions pas vivre répartis en cités ni en peuples, chacun défini par ses propres critères de justice. Il faudrait plutôt considérer que tous les hommes sont des concitoyens »… Difficile de résister au rapprochement entre cette Phénicie antique et le Liban contemporain, entre le philosophe d’hier et l’écrivain d’aujourd’hui. Porté par Zénon il y a des milliers d’années, il semble que ce rêve de paix n’ait toujours pas été réalisé. Alors Alexandre Najjar en a fait un roman, de ce rêve, toute une Histoire. « L’index levé », lui aussi, il nous murmure entre les lignes : « Si l’espoir me fait défaut, j’aurai recours au passé. Car le passé est aussi source de savoir ». On le savait déjà amoureux et historien de « l’Orient compliqué ». Avec Phenicia, Najjar se fait aussi son « réinventeur ».
Marine de Tilly.

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