mardi 10 mars 2009

J. Natta et C. Berstein pour Transfuge, 05/2008



Hillary Clinton ou l'ambition d'une vie

Hillary Clinton, Histoire d'une ambition, de Jeff Natta, J.C Lattes, 500 p., 21,90€.
Hillary Clinton, une femme en marche, de Carl Berstein, Baker Street, 730 p. , 25€.

Les lendemains de réveillons ont toujours un goût amer. Le 3 janvier de cette année en effet, le clan Clinton avait un peu la gueule de bois. A 8 points de son meilleur ennemi démocrate Barack Obama, Hillary Clinton prenait un sévère revers électoral en guise de carte de vœux. Mauvais, ou faux départ ? Toujours est-il que celle que l’on croyait invincible trébuchait à la première foulée de sa course à la Maison Blanche. Résultat, Hillary « l’insensible » versa même une petite larme devant les caméras du monde entier. Une semaine plus tard, plus qu’un « come back » -selon ses propres mots-, c’est une résurrection : Avec 39% des suffrages du New Hampshire (contre 36 pour son concurrent), et elle fait maintenant la course en tête. Bill et Chelsea sont émus, Hillary « regonflée » à bloc. Cette fois c’est promis, l’Amérique aura la compétition électorale qu’elle attend, et la favorite ne laissera plus s’échapper le moindre petit sanglot. De l’autre côté de l’Atlantique, l’ex First Lady fait une belle rentrée. Deux imposants ouvrages lui sont consacrés et se disputent les vitrines des librairies : Hillary, histoire d’une ambition, une enquête au vitriol de Jeff Gerth et Don Van Natta, deux journalistes du New York Times et par ailleurs lauréats du Pulitzer ; et Hillary Clinton, une femme en marche, un ouvrage moins sévère, déjà best seller aux Etats-Unis, signé Carl Bernstein, célèbre pour ses révélations dans l’affaire du Water Gate. Deux pavés pour une même femme, deux biographies non autorisées pour celle qui pourrait bien devenir le 44ème président des Etats-Unis, et, au passage, la première femme de l’Histoire à gouverner ce Pays.
Les Chiens font donc des chats
« Je ne suis pas née première dame ou sénatrice. Je ne suis pas née non plus démocrate. Ni avocate, ou militante pour les droits des femmes et de l’homme. Je ne suis pas née épouse ni mère. J’ai simplement eu la chance de naître américaine au milieu du vingtième siècle, un lieu et une époque bénis. » Voilà une introduction pleine de bon sens ; les premières lignes de l’autobiographie d’Hillary (Mon Histoire) publiée en 2003 chez Fayard. Comme tous les bébés du monde donc, Hillary Diane Rodham naît à Chicago, le 26 octobre 1947, sans tailleur ni brushing, sans drapeau américain greffé au cœur. A propos des toutes premières années de sa vie à Park Ridge, dans la banlieue de Chicago, le lecteur averti doit déjà faire face à différentes « versions ». Il y a celle de la maison Blanche, qui laisse à voir une enfance et une jeunesse idyllique autour de parents aimants : joli maison de brique, véranda ombragée, verte pelouse en pente, gentils petits frères bagarreurs, tout cela sous le regard attendri de papa et maman Rodham. Et puis il y a celle de nos trois biographes, d’emblée plus équivoque : Pour les deux journalistes du New York Times, le père, Hugh Rodham, est un « gallois rude et mal dégrossi aux idées républicaines bien arrêtées ». Quand à Bernstein, il affirme carrément que les Rodham étaient considérés comme « une famille de canards boiteux, rejetés par leurs voisins à cause du caractère difficile du père, un homme aigri et insatisfait, enclin à exagérer ses succès personnels, et dont les sarcasmes perpétuels et la misanthropie pesaient sur ses enfants, obligés de subir son humiliante pingrerie et d’accepter en silence les vexations et rebuffades qu’il infligeait à leur mère ». On l’aura compris, loin des images d’Epinal que les comptes rendus officiels veulent bien nous montrer, la vie chez les Rodham ressemblait à plus à un camp d’entraînement dirigé par un père-instructeur – qui avait d’ailleurs été sous officier dans la Navy- qu’au pays de Candie. C’est donc dans cet environnement que la jeune Hillary se forge une force de caractère hors du commun. Plutôt jolie sans être « des plus belles de la classe », Hillary se préoccupe avant tout de ses performances scolaires. Adolescente, son assurance, son intelligence vive et sa force de conviction sont déjà manifestes. N’ayant rien d’une abeille ouvrière, elle veut être le chef, que ce soit dans son groupe de scout, au conseil de classe ou dans l’équipe de sport. Pour ce qui est de sa conscience politique, nos biographes sont unanimes : Hillary avait toujours sur elle un exemplaire fatigué de Conscience d’un conservateur, de Barry Goldwater, pilier ultra de la droite conservatrice, mais elle s’employa très jeune à discuter, argumenter, réconcilier les points de vue diamétralement opposés de ses parents : « Ma mère était une démocrate, même si elle évitait de s’afficher en tant que telle dans le quartier très républicain de Park Ridge. Mon père lui, était un conservateur républicain pur et dur », écrit-elle. Après le lycée, vint l’Université. Changement de décors. Fini l’Illinois, direction Wellesley dans le Massachussetts, une université féminine réputée pour ses valeurs politiques libérales. « Si vous entrez dans cette Université, l’avertit un jour l’un de ses professeurs, vous finirez libérale et démocrate ». Ce à quoi Hillary répondit du tac au tac : « Je suis assez intelligente pour savoir ce que je pense, et je ne vais pas changer d’opinion comme cela »… Un ange passe. En ce début des années 60, l’activisme étudiant né de l’opposition grandissante à la guerre du Vietnam et au racisme gagne le pays... en même temps qu’Hillary, qui commence à mettre en doute la politique républicaine dans la guerre : « Elle avait passé son été chez les républicains, note Bernstein, tout en étant une démocrate, une gymnastique qu’elle avait déjà pratiqué au lycée –et à la maison-. C’était chez elle un trait notable ». C’est en arrivant à Yale, en 1969, qu’Hillary passe définitivement l’arme à gauche. Oubliées, les valeurs républicaines de papa, elle sera démocrate, avec, toujours et pardessus tout, le phare et le refuge de la religion.

Clinton Incorporated
« J’étais sur le point de rencontrer la personne qui allait infléchir ma vie et lui donner une direction que je n’aurai jamais imaginé », écrit Hillary. Sur les fondements du « partenership » de Bill et Hillary, une fois encore, les avis divergent. Pour Carl Bernstein, c’est Bill qui aurait immédiatement compris qu’à deux, ils seraient plus forts : « Bill défendait fermement ses convictions, mais « on sentait qu’il voulait seulement devenir président » alors qu’Hillary était habitée par une ferveur religieuse. » Selon les auteurs de Hillary, Histoire d’une ambition en revanche, et comme le titre de l’ouvrage l’indique clairement, c’est elle qui aurait, très tôt, et contrairement à son affirmation, « imaginé » tous les fruits que pourraient porter l’association des deux météores politiques. Du haut de son austérité, Hillary calcule, observe, déchiffre, repère les obstacles et les gens qui représentent danger ou intérêt avec une discipline militaire. Des restes de l’enfance, sans doute. Vers la fin de l’automne 70, assis au fond de la classe, Bill aperçoit une blonde qu’il ne connaît pas. « A vrai dire, notent Gerth et Van Natta, il a pas mal manqué les cours cet automne. Il pense que cette jeune femme a sans doute été encore plus souvent absente que lui. Sinon, il ne lui aurait pas fallu un semestre entier pour la remarquer ». Hillary n’est, comme à son habitude, pas vraiment à son avantage. Depuis toujours, elle séduit autrement, par son assurance, par des qualités moins visibles, mais plus fascinantes. Impressionné, Bill ne lui parlera pas ce jour là. Plusieurs mois plus tard, dans la bibliothèque de Yale, après tant de regards échangés, c’est Hillary qui s’avance vers Bill, main tendue : « Si c’est pour que vous continuiez de me regarder comme ça, et que je vous regarde en retour, autant qu’on se présente. Je m’appelle Hillary Rodham ». A quarante-cinq ans, peu après avoir décidé de ne pas divorcer, quand on demanda à Hillary Clinton quel était l’évènement de sa vie qui avait suscité en elle le plus d’exhalation, elle répondit sans hésiter : « C’est d’être tombée amoureuse de Bill ». Pour Bernstein, « il n’y a aucune raison de mettre en doute sa sincérité, et Hillary n’est pas la garce, la virago que ses détracteurs se plaisent à caricaturer ». Et même si le mot « exaltation » ne va pas particulièrement bien à cette femme froide, méthodique et dominatrice, il explique peut-être mieux pourquoi elle s’est engagée sur le chemin qu’elle prit auprès de son « grand amour ». Alors que tout jusqu’ici semblait réglé dans sa vie, Hillary était séduite, Bill en pamoison, bref, début du « plan de vingt ans » ou pas, ils déménagent à Fayetteville et se marient à l’automne 1975. Hillary devient associée du prestigieux cabinet d’avocat « Rose » en 79, et bientôt première dame de l’Etat de l’Arkansas, quand son « surdoué » de mari est élu Gouverneur démocrate, à plus de 60% des voix... et tout juste trente ans. Le dernier ciment du couple fut l’arrivée de Chelsea, leur fille, en 1980. « Démocrate » ? Hillary l’était devenue, de tout son coeur. « Avocate » ? Elle le resta pendant quinze ans. « Militante pour les droits de la femme et de l’enfant » ? Résolument. « Epouse »? Depuis quelques années, et « mère » depuis peu. Pour reprendre sa phrase d’introduction, il ne manquait au palmarès d’Hillary que « Fisrt Lady », et « sénatrice ».
De First Lady à Sénatrice
A la fin des années 80, Hillary fonce à toute vapeur, mais on ne peut pas en dire autant de son mari. En 1987, alors qu’il est obligé de renoncer à la course à la Présidence (des rumeurs sur les escapades extra-conjugales de Bill courent l’Arkansas), Hillary décrète que s’il n’y va pas, elle, elle ira. Mais on ne la voit alors que comme un « appendice » de Bill, et elle échoue. « La contradiction entre l’avantage qu’elle retire de sa proximité conjugale et sa volonté de mener une carrière autonome sera toujours un dilemme pour elle », estiment les journalistes du New York Times. En 1992, après un dernier mandat dans l’Arkansas, Bill est prêt pour la Maison Blanche. Encore une fois, Hillary passe son tour. En revanche, et c’est une première dans l’Histoire des Etats-Unis, cette campagne ne sera pas la campagne de Bill, mais celle « des » Clinton ; « Votez pour moi et vous en aurez deux pour le prix d’un », avait-il lâché lors d’un meeting (dans le New Hampshire…) Stratégies, transgressions, moyens de défense, coups de griffe, idées, attaques, chaque minuscule petit point d’organisation est alors réglé par Bill…et sa femme. Selon Bernstein, « aucuns de leur collaborateurs n’étaient tenus au courant de ce qu’ils se disaient quand ils étaient seuls ». Le combat contre Bush remporté, Bill Clinton est Président. Voilà qui est fait. En First Lady, Hillary impose un nouveau style, le sien, celui d’une épouse active et très engagée dans la mission de son mari. Choses promise, chose due : l’Amérique en a deux pour le prix d’un. En charge de la grande réforme sur l’Assurance maladie, Hillary commet de graves erreurs stratégiques, et ne compte plus ses ennemis. Mais ni le fantôme de Whitewater (un scandale financier autour d’une opération immobilière ratée de Bill et Hillary dans les années 80), ni les rudes procès qui en découlèrent, ni Paula Jones, ni même Monica Lewinsky n’eurent raison de la soif de pouvoir de la Fisrt Lady. L’investissement d’une vie entière, et surtout l’espoir d’un futur qu’il restait à construire, tout cela avait un prix. Sur Lewinsky, nos trois biographes partagent une seule et même version : Oui, le Président a menti, nié, acheté le silence d’une stagiaire qui avait à l’époque l’âge de Chelsea, contre l’immunité. Et oui, les avocats de Paula Jones en profitèrent pour remettre sa relation avec Bill au goût du jour. Hillary l’épouse bafouée, meurtrie par les infidélités de son mari étalées en « Une » de tous les journaux, s’effondre : Selon une amie interrogée par Bernstein, elle n’aurait « plus été capable de parler à qui que ce soit pendant des jours », et ce fut « l’année la plus sombre de sa vie ». Moins tendres que leur confrère Bernstein avec la première dame, Gerth et Van Natta ne retiennent de la tempête Lewinsky que la capacité d’Hillary à ne jamais perdre des yeux, mouillés ou pas, ses « propres intérêts ». Car pendant que Bill s’emploie à mériter le pardon de sa femme, « tout ce qu’Hillary voulait, elle devait l’avoir, c’était la règle numéro un ». Selon eux, après avoir cru tout perdre, n’avait-elle pas au contraire tout à gagner ? « Son ambition politique est à ce moment tout aussi considérable qu’avait été celle de Bill. Et elle sait qu’elle aura besoin de lui pour atteindre ses objectifs », résument les journalistes. « Ses objectifs » ? Le Sénat, et bientôt peut-être, la Présidence. Hillary se remet au travail, et comme à 18 ans, « croit encore qu’elle va changer le monde », rapporte Bernstein. Au terme d’une « tournée de l’écoute » menée avec talent –une méthode électorale qui n’est pas sans rappeler la « démocratie participative » d’une certaine Ségolène Royal-, Hillary remporte dans l’Etat de New York une victoire éclatante le 7 novembre 2000. A ce jour, après deux mandats, elle y est encore.
Le 20 janvier 2007, quatorze ans jour pour jour après l’investiture de son mari à la maison Blanche, Hillary Clinton annonce officiellement sa candidature à la Présidence dans un message électronique envoyé à quelques millions d’américains : « J’entre dans la course, et c’est pour la gagner ». De la Goldwater girl à la démocrate libérale, de l’étudiante mal fagotée à la dame en tailleur chic, de la First Lady cornue à la sénatrice respectée, après vingt-deux années de « Clinton building », Hillary Rodham Clinton est tout près de son objectif. « Son » tour est enfin arrivé. Pour Gerth et Van Natta, ses changements de cap au sujet de la guerre en Irak (soutien de Bush et des républicains en 2002, puis revirement dans le camp des « anti-guerre » en 2007) constituent l’obstacle le plus sérieux à sa marche vers la Maison Blanche. Selon eux, « le pari ne pourra réussir que si ses concurrents, et les électeurs, n’y regardent pas de trop près ». Du côté de Carl Berstein, le bilan semble plus positif : « Hillary a encore le temps de s’affirmer, de réaliser ces choses qui font d’elle un être à part. Nous aurions tous à y gagner, parce que ces choses là ont peut-être le potentiel de changer le monde, ne serait-ce qu’un petit peu ». Tous reconnaissent, en tout cas, la singularité de son parcours politique, et la complexité fascinante de sa personnalité. Qu’elle « change le monde » ou pas, « la célébrité la moins bien connue des Etats Unis » aura, de toute évidence, marqué l’Histoire de son pays, en même temps que celle de la femme.
Marine de Tilly.

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