mardi 10 mars 2009

A/ Grandes pour Le Point, 09/2008


Allons enfants de l’Ibérie.

Le cœur glacé, d’Almudena Grandes (traduit de l’espagnol par Marianne Million), JC Lattes, 1072 p., 25€.

« Le cœur glacé ». A vrai dire, le nouveau roman d’Almudena Grandes aurait peut-être du s’appeler « Les cœurs glacés ». Car dans ce livre à feu et à cri, des âmes grises, il y en a au moins autant que de pages de littérature, c'est-à-dire plus d’un millier. Bien sûr, deux personnages se détachent, sorte de Romeo et Juliette espagnols, mais même leur histoire d’amour, si rare, ne semble pas leur appartenir complètement. Derrière Alvaro et Raquel, quarantenaires amoureux, il y a les Carrion et les Fernandez, et derrière ces deux grandes familles de sang, il y a celles des armes, les nationalistes et les républicains. « Chaque famille a une armoire fermée, pleine à craquer de péchés mortels », dit l’un des personnages… On le sait, depuis ce jour de juillet 1936 où ses enfants sont devenus fous, L’Espagne n’en finit plus de payer. Des toiles de Picasso aux poèmes de Lorca, des confessions d’Abel Paz à celles de Neruda, la guerre civile hante la quasi-totalité de la littérature et de la mémoire ibérique. Nous sommes pourtant en 2005 dans le texte, mais c’était hier… Jusqu’ici, Alvaro ne savait rien, et sans doute aurait-il préféré en rester là. Mais comme disait Cocteau, « le secret a toujours la forme d’une oreille », et Alvaro n’échappera pas aux relents de dictature franquiste qui empestent aux réunions de famille. Le chemin sera long, pour cet héritier malgré lui d’une fortune salement gagnée, ce fils de « salaud authentique » membre de la Division Azul. Long encore, le chemin, quand par-dessus le marché, Raquel, la femme qu’il aime, s’avère être de la lignée des perdants, fille et petite fille de combattant républicains exilés en France. « L’une des deux Espagne saura te glacer le cœur », écrivait le poète Antonio Machado. Sur qu’avec ce texte magistral, Almudena Grandes voulait réchauffer le cœur de l’autre. Reste à savoir de qui on parle. Reste à définir qui sont, deux générations plus tard, les gagnants et les perdants de cette guerre inoubliable.
Marine de Tilly.

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